Ampelosaurus ("Ampélosaure") est un dinosaure herbivore de la fin du Crétacé, appartenant au groupe des Sauropodes titanosaures et ayant vécu dans ce qui est aujourd'hui le Sud de la France et peut-être le Nord de l'Espagne.
Le dinosaure le mieux connu de France
La quantité d'ossements d'Ampelosaurus découverts est un record en France: près d'un millier d'ossements d'individus différents, retrouvés principalement sur le gisement de Bellevue (Campagne-sur-Aude), près du Musée des dinosaures d'Espéraza. Les fouilles systématiques s'y déroulent en général l'été, depuis 1989.
En 2001, un squelette quasi complet d'un Ampelosaurus juvénile a même été découvert. Surnommé Eva
(prénom de la 1ère découvreuse), ce squelette mesure une douzaine de mètres de long, 2,5 mètres de haut (fémur de 96 cm de long) pour une dizaine de tonnes. Son dégagement a nécessité plusieurs années.
Un Sauropode qui a du piquant
Ampelosaurus possédait des plaques osseuses dorsales (ostéodermes), en forme de bulbes et en forme d'épines. Comme leur nom l'indique, les ostéodermes sont des os qui se développent dans le derme, c'est-à-dire dans la partie profonde de la peau. Certains reptiles actuels en possèdent, comme les crocodiles. Ampelosaurus est le premier titanosaure découvert dans l'hémisphère nord à en posséder. Pouvaient-elles lui servir de moyen de protection? Peu vraisemblable, selon Jean Le Loeuff, son découvreur. En effet, même si certains de ces aiguillons peuvent mesurer jusqu'à 20 cm de long, la taille imposante d'un Ampelosaurus adulte devait suffire à sa protection. Peut-être ces plaques aidaient-elles à supporter la colonne vertébrale, ou plus vraisemblablement servaient-elles à la reconnaissance entre individus? On peut dans ce cas imaginer un caractère issu d'une sélection sexuelle.
Une autre hypothèse serait que ces ostéodermes participent à une réserve minérale qui pourrait être mobilisée lors de la formation des œufs en période de ponte. Ce phénomène est connu par exemple chez les crocodiles actuels. L'hypothèse est compatible avec les observations des ostéodermes des titanosaures du site espagnol de Lo Hueco, contemporains et apparentés à Ampelosaurus (Vidal, 2017).
Des gastrolithes ont également été retrouvées associées à Ampelosaurus. Les gastrolithes sont des pierres arrondies et dépolies que l'on a retrouvé dans la cage thoracique de certains dinosaures. On pense qu'elles les aidaient à broyer la nourriture ingérée dans leur estomac. Ainsi, comme les poules actuelles, les Ampélosaures devaient avaler des pierres et les stocker dans une sorte de gésier. Ce broyage des aliments par des pierres devait sans doute compenser l'absence de mastication ou de rumination des aliments: comme pour le Diplodocus et les autres sauropodes, les dents lui permettaient seulement d'effeuiller les branches des arbres à la manière d’un râteau et il avalait le tout.
Paléoenvironnement
Ampelosaurus met aussi en évidence l'importance du gisement de Bellevue (C3
), où il a été découvert. Ce gisement (géologiquement au sein de grès et de marnes de la Formation des Marnes Rouges Inférieures), correspondant à l'ancien lit d'une rivière de la vallée de l'Aude, est le plus riche de France pour cette époque et a permis de déterrer la plus importante collection de vertébrés (liste à partir de Le Loeuff, 2005) : Dinosaures (Ampelosaurus atacis, Rhabdodon priscus, dents d'un Dromaeosauridé, plaques d'un Ankylosaure indéterminé), Ptérosaures, Crocodiles (dont l'espèce Allodaposuchus precedens, également retrouvée dans le Bassin de Hateg en Roumanie), Poisson ostéichthyen (Lepisosteus), Tortues et Oiseaux (Gargantuavis philoinos)...
Le gisement a été daté du début du Maastrichtien (71,5 millions d'années environ selon Fondevilla, 2016), le dernier étage du Crétacé supérieur, c'est-à-dire quelques millions d'années juste avant l'extinction des dinosaures non aviens.
Le climat était de type tropical avec des saisons contrastées où alternaient une saison sèche et une saison humide. La végétation se composait de palmiers et de cycadales (dont quelques empreintes ont été découvertes fossilisées à Bellevue) ainsi que des prêles, des fougères herbacées et arborescentes, des conifères et des plantes à fleurs, qui devaient composer le menu d'Ampelosaurus.
Le sud de la France se situait alors vers le 30e parallèle de latitude Nord, soit 1000 km plus au sud qu'actuellement, d'où la présence de cette flore tropicale fossile à l'époque. La région devait être riche en fleuves et lacs, propice à la formation de vases argilo-sableuses et de marécages où les dinosaures ont été nombreux à déposer leurs œufs, comme le font aujourd'hui à la même latitude tortues et crocodiles, le long des grands fleuves tropicaux. Aucun œuf n'a pour l'instant été attribué formellement à Ampelosaurus étant donné qu'aucun n'a été retrouvé intact avec un embryon fossile. Un oiseau fossile géant (Gargantuavis philoinos) aurait d'ailleurs très bien pu être l'auteur d'une partie des coquilles fossiles retrouvées dans la région, puisque ce contemporain a été découvert à Fox-Amphoux (Var), Campagne-sur-Aude (Aude), Combebelle et Cruzy, dans l'Hérault (source).
Un Sauropode de taille modeste, sur un mini-continent
La géographie du Sud de l'Europe au Crétacé était bien différente de celle que l'on connait aujourd'hui. Le niveau global des océans était plusieurs dizaines de mètres au-dessus du niveau actuel et les Alpes et les Pyrénées n'étaient pas encore des montagnes. Ainsi, l'Europe à la fin du Crétacé était constituée d'un chapelet de petites et de grandes îles. Le sud de la France faisait partie d'une île ibéro-armoricaine
, aussi appelée île ibéro-occitane ou bloc pyrénéo-provençal, réunissant l'actuel Portugal, l'Espagne, jusqu'en Provence près de Marseille. Dans cette région évoluait une population assez endémique (locale), avec notamment Ampelosaurus.
Depuis la découverte des premiers os d'Ampelosaurus, sa taille a été révisée à la hausse: on pense maintenant que les adultes devaient mesurer au total environ 18 mètres de long, ce qui est à la fois plutôt modeste par rapport à la plupart des Sauropodes, mais également très grand par rapport à la plupart des autres titanosaures du Campanien - début du Maastrichtien de l'île ibéro-armoricaine. Il existait en effet en Europe au Crétacé des titanosaures nains: en France (Atsinganosaurus et Garrigatitan), en Espagne (Lirainosaurus) et sur l'île de Hateg, en Roumanie (Magyarosaurus).
Pour ces petits dinosaures s'agit d'un cas de nanisme insulaire
: l'ostéologie révèle un taux de croissance ralenti, associé à une taille plus petite: les adultes étaient de petite taille (par exemple dans les 6 mètres de long pour 1,5 mètre de haut pour Magyarosaurus). Le même phénomène s'est déroulé au Jurassique en Allemagne, il y a 150 millions d'années, avec le sauropode nain Europasaurus holgeri ou dans les temps historiques sur les îles méditerranéennes (ou encore indonésiennes et à Madagascar), des éléphants de la taille d’un cochon, des hippopotames et des daims nains. On pense que le nanisme insulaire est une adaptation des animaux aux régions isolées, avec de la nourriture en quantité limitée et une pression de prédation plus faible: ceux qui survivent le mieux sont alors ceux qui sont génétiquement plus petits.
Ampelosaurus était-il un dinosaure nain? L'analyse microscopique de ses ossements a montré qu'il ne s'agit pas d'un cas de nanisme insulaire. En effet, Ampelosaurus a un taux de croissance osseuse ralenti, mais qui n'est pas corrélé à une taille plus petite, il devait donc mettre longtemps à atteindre sa taille adulte. Son métabolisme est plus faible (Klein et al., 2012), soit par une adaptation partielle à la vie insulaire, soit parce que ses ancêtres étaient nains et qu'il a commencé à perdre ce caractère.
Un groupe très diversifié à la fin du Crétacé en Europe
Le crâne d'Ampelosaurus est très similaire à celui des autres titanosauridés (groupe qui correspond maintenant aux Lithostrotia), tout comme son braincase (moulage de l'intérieur du crâne). Il y a un autre crâne partiel de titanosaure français décrit par Le Loeuff et al. en 1989, sans doute celui trouvé près de Fox-Amphoux par P. et A. Méchin. Les études montrent qu'il a suffisamment de différences pour appartenir à un autre genre qu'Ampelosaurus. Il y aurait donc eu au moins une autre espèce de Titanosaure dans le sud de la France au Crétacé supérieur. En 2007, des restes d'un titanosaure d'environ 20 mètres de long ont d'ailleurs été mis à jour dans le gisement de Bellevue (plaque sternale, fémur de 1,20 mètre, omoplate, pubis, vertèbre caudale et chevron d'un même individu). Et la comparaison des différents ossements d'Ampelosaurus montre d'importantes variations individuelles, qui pourraient correspondre à une différence entre mâles et femelles ou à la présence de plusieurs espèces différentes d'Ampelosaurus (Vila, 2023).
Ainsi, le nombre d'espèce de titanosaures ayant vécu au Crétacé sur l'île ibéro-armoricaine révèle une importante biodiversité de ces dinosaures. En France après les titanosaures du Campanien (Atsinganosaurus et Garrigatitan), on trouve au moins deux espèces à Bellevue et une à Cruzy (Massecaps), sans doute différentes des nombreux restes de titanosaures de Provence. En Espagne, Lirainosaurus et Lohuecotitan sont contemporains d'Ampelosaurus, mais là aussi plusieurs formes sont signalées, correspondant vraisemblablement à plusieurs espèces.
De plus, l'époque à laquelle a vécu ce titanosaure est aussi inhabituelle: les Sauropodes ont connu leur apogée au Jurassique, avec des géants tels que Brachiosaurus, Barosaurus, etc. Puis le groupe a décliné progressivement jusqu'au Crétacé, où ils sont rares en Amérique du Nord et en Asie centrale. Les titanosaures sont restés relativement nombreux pendant le Campanien (84-72 millions d'années) et le Maastrichtien (72-66 Ma) en Europe. Ampelosaurus n'a pas vécu à la toute fin du Crétacé, mais d'autres fossiles de dinosaures, de nombreuses empreintes et même une empreinte de peau fossilisée attestent que les dinosaures et notamment les titanosaures sont restés nombreux et diversifiés jusqu'à la crise de la fin du Crétacé.
La dernière partie du Crétacé est rare en gisements, les preuves fossiles sont moins nombreuses. Cependant, on note un changement dans la biodiversité des dinosaures herbivores au cours du Maastrichtien. Le climat s'est rafraichi, est devenu plus tempéré, avec une régression marine de plus en plus marquée vers la fin du Crétacé. La baisse du niveau des mers (de l'ordre de 25 mètres au début du Maastrichtien) a permis de nouveaux échanges fauniques. Sur l'île ibéro-armoricaine, les dinosaures herbivores Rhabdodontidés et Nodosauridés (Struthiosaurus) disparaissent et les espèces de titanosaures de petite et moyenne taille comme Ampelosaurus sont remplacées par des espèces plus grandes, qui pondent des œufs dont la coquille a une structure différente et qui ne montrent aucun signe de nanisme insulaire, comme Abditosaurus kuehnei. À l'inverse, le groupe des hadrosaures lambeosaurinés se développe à cette période, par exemple avec Canardia en France et Pararhabdodon, Arenysaurus, Blasisaurus et Adynomosaurus en Espagne. Les hadrosaures ont un avantage par rapport aux sauropodes, ils sont capables de mastiquer, leur digestion est plus efficace et mieux adaptée aux plantes à fleurs qui sont de plus en plus nombreuses au Crétacé. Les hadrosaures vont devenir les dinosaures herbivores les plus abondants à la toute fin du Crétacé. La compétition est en défaveur des autres dinosaures herbivores, les nombreux œufs fossiles anormaux montrent d'ailleurs une période d'intense stress chez les titanosaures il y a entre 71 et 70 millions d'années, au moment de l'arrivée des hadrosaures.
Taxonomie
Les très nombreux ossements d'Ampelosaurus découverts montrent qu'il y a beaucoup de variabilité entre les différents individus, une révision des ossements est en cours pour affiner l'attribution à une ou plusieurs espèces d'Ampelosaurus, voire à l'une des autres espèces contemporaines de titanosaures de l'île ibéro-armoricaine.
À l'heure actuelle, une seule espèce d'Ampelosaurus a été décrite:
- Ampelosaurus atacis (espèce type, décrite par le paléontologue français Jean Le Loeuff en 1995). Le nom signifie "reptile des vignobles de l'Aude", car les ossements ont été retrouvés au milieu des champs de vigne de la Blanquette de Limoux.