Expositions, manifestations, conférences

Fossiles aux enchères: un nouveau marché

Les ventes de fossiles aux enchères font polémique. Depuis quelques années, des squelettes de dinosaures sont régulièrement mis aux enchères, à des prix de plusieurs centaines de milliers d'euros... Les ventes de fossiles aux enchères sont-elles en train de devenir un nouveau phénomène de société?
Les dinosaures sont les stars sur les écrans, dans les musées et dans les chambres d'enfants. Ce n'est donc pas un hasard si la demande d'achat d'authentiques fossiles de dinosaures est de plus en plus importante et si les salles de ventes aux enchères s’engouffrent dans ce nouveau marché...


Crâne de Triceratops à vendre aux enchères en octobre 2011



Où trouve-t-on des fossiles de dinosaures aux enchères?

Les ventes aux enchères ont toujours eu un certain succès en France. Dans les salles de vente, les objets vendus sont la plupart du temps des objets d'art. De temps en temps, des pièces paléontologiques sont proposées dans les catalogues, mais depuis quelques années, les responsables des salles des ventes françaises organisent de grandes ventes consacrées exclusivement aux pièces paléontologiques. On peut citer par exemple:

- Avril 2007, Christie's ("Cabinet de curiosités"): mammouth de Sibérie, rhinocéros laineux...
- Avril 2008, Christie's avec un Triceratops en pièce maîtresse;
- Décembre 2009, Hôtel Drouot avec notamment un squelette de Spinosaure (catalogue);
- Octobre 2010, Sotheby's, avec entre autre un Allosaure;
- Octobre 2011, Sotheby's, avec plusieurs grands squelettes en vente: Suuwassae emiliae, Prosaurolophus maximus, Ténontosaure "Clover", crâne de Triceratops... (dossier de presse de l'exposition).


Squelette de l'Allosaurus mis aux enchères en 2010


Aux Etats-Unis, cela fait plus de 15 ans que les dinosaures sont régulièrement l'objet de ventes aux enchères. Le record est un squelette de T. rex surnommé "Sue", vendu chez Sotheby's à New York en octobre 1997 pour la somme d'environ 8 millions de dollars.

Loin de cette agitation, de nombreuses pièces sont mises en vente aux enchères sur internet, mais les objets vendus sont sans commune mesure avec ce qui se négocie dans les salles de vente.
Il y a également les bourses d'échange qui existent entre amateurs. Là encore, les prix pratiqués n'ont rien à voir avec les ventes aux enchères. A tel point que certains fossiles vendus aux enchères auraient très bien pu être achetés dans une bourse aux fossiles pour 2 à 3 fois moins cher...

Qu'est-ce qui fait le prix d'un fossile?

Comme tous les autres objets vendus aux enchères, le prix d'un fossile dépend d'abord de la loi de l'offre et de la demande. Ce n'est donc pas un hasard si les maisons de vente aux enchères en font de plus en plus pour communiquer sur leurs ventes, en les rendant événementielles et mettant en avant les qualités des pièces vendues.

Les estimations se basent sur la rareté de l'espèce à laquelle appartient le fossile, la qualité de la conservation du squelette, ainsi que de la proportion de reconstitution. Mais également sur la cote de popularité de l'espèce à vendre, le record appartenant bien sûr aux dinosaures carnivores gigantesques, donc à l'espèce Tyrannosaurus rex, star du film Jurassic Park. Rentrent également en compte pour une moindre part le coût du dégagement et de la préparation du fossile, ainsi que son intérêt scientifique.


Squelettes des dinosaures Albertosaurus et Carnotaurus nouvellement acquis par le Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, sur fonds propres.


Qui sont les acheteurs des dinosaures mis aux enchères?

Les musées et institutions publiques européens ne sont plus les acheteurs de ces dinosaures aux enchères. C'était le cas il y a une trentaine d'années, mais l'envolée des cours ne leur permet plus de se porter acquéreur. Certains particuliers ou sociétés privées confient à des muséums les fossiles achetés, mais il s'agit plutôt d'exceptions.

Mettre plusieurs centaines de milliers d'euros dans l'achat d'un fossile, il faut être motivé et avoir un compte en banque solide. Hommes d'affaires, magnats du pétrole... Ce sont pour la plupart de richissimes collectionneurs. C'est le cas par exemple de Saoud al-Thani, neveu du roi du Qatar, possesseur, entre autres, d'un Diplodocus et d'un Triceratops. Ils sont nombreux à vouloir planter un de ces dinosaures au bord de leur piscine ou dans leurs palais. D'autres, paléontologues modestes, se mettent à plusieurs pour acquérir un dinosaure.

Enfin, comme pour le marché de l'art, les enchères de fossiles attirent de plus en plus les spéculateurs qui peuvent se le permettre. En effet, selon Paris Match: en 2007, François Pinault avait été séduit par un squelette d'ours des cavernes de l'ère quaternaire. Décroché à 46 800 euros, l'animal avait réalisé une belle culbute au regard de sa dernière enchère, en 2005, où il avait été remporté pour 17 400 euros. Certains exemples montrent qu'un fossile peut se révéler un bon investissement: la valeur d'une dent de dinosaure achetée 500 euros peut doubler en trois ans. Est-ce pour cela que le "Président", ce mammouth de Sibérie vendu 183 000 euros en 2006 à Drouot puis 320 000 euros chez Christie's l'année suivante, est toujours stocké dans des caisses par son propriétaire?

Mais jouer la spéculation n'est pas toujours gagnant. En effet, outre le côté tendance qui peut être éphémère, Lionel Cavin, du muséum de Genève est plus dubitatif: "Il est possible que certaines pièces prennent beaucoup de valeurs, mais c'est très aléatoire. Un fossile très rare aujourd'hui, peut devenir commun si demain un nouveau gisement est découvert."


Que font les maisons de vente aux enchères pour faire monter les prix?

Elles cherchent le plus possible à faire parler d'elles et de leur exposition. Elles s'associent quand elles le peuvent avec le monde scientifique. C'est par exemple le cas de Sotheby's avec l'exposition des fossiles de leur vente 2011 à l'Institut de Paléontologie Humaine, relativement peu connu du grand public et qui n'a rien à voir avec les dinosaures. Peu importe, ça fait sérieux.
En outre, elles mettent en valeur les pièces maîtresses de leur vente, parlent de records de vente, de premières mondiales, de squelettes inédits, ou authentiques.

Autre stratégie: pour susciter l'intérêt, elles essayent de ressusciter la tradition des cabinets de curiosité. Pour en mettre plein la vue, il fallait autrefois accumuler des objets naturalistes rares, véritables pièces de collection, et les mettre en valeur dans un écrin. Une tradition que les maisons de vente aux enchères aimeraient bien remettre au goût du jour. Les cabinets de curiosité sont doublement intéressants. D'une part, ils attirent les collectionneurs, dont certains sont capables de dépenser des fortunes pour ajouter une pièce à leur collection. D'autre part, ils attirent les amateurs d'art.


Triceratops de Christie's


Ainsi, Christie's a inclus le tricératops et d'autres fossiles dans une vente d'arts décoratifs du XVI au XIXe siècle. On a également pu voir en 2009 des squelettes de dinosaures de cette maison de vente être les vedettes du Salon du collectionneur, prestigieuse manifestation organisée tous les deux ans par le Syndicat national des antiquaires. Et comme par hasard, Eric Mickeler, l'organisateur des ventes aux enchères de fossiles chez Christie's, y annonçait: "Regardez, c'est très beau. Un fossile peut même devenir une oeuvre d'art moderne", en montrant le squelette d'un rhinocéros laineux (vieux de dix mille ans) que son propriétaire a doté de cornes dorées... "en hommage à Salvador Dali".

Ce même Eric Mickeler qui déclarait en 2009 sur Largeur.com que "Christie's associe parfois des fossiles avec des oeuvres contemporaines, pour former un objet plus harmonieux. Bref, nous favorisons toujours l'esthétisme car l'objectif principal, il faut le dire, demeure de vendre ces objets."

Ainsi, l'esthétisme des fossiles mis en vente est essentiel, dans le souci de faire évoluer les fossiles: d'objets scientifiques en objets d'art, le fond de commerce des ventes aux enchères, beaucoup plus rentable. Le prix des fossiles, même s'il atteint des sommes considérables, reste encore largement inférieur aux oeuvres d'art contemporaines: un fossile estimé à 1 million d'euros, c'est tout de même 80 fois moins que le Nu au plateau de sculpteur, de Picasso, adjugé par Christie's au mois de mai 2010...

Au-delà du discours commercial, les maisons de vente aux enchères n'hésitent donc pas à travestir les fossiles et à vendre des objets qui n'ont plus grand-chose à voir avec la science.

A suivre: Les fossiles aux enchères ont-ils une valeur scientifique?


Les dinosaures, stars du cinéma