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Les fossiles aux enchères ont-ils une valeur scientifique?
Les dinosaures vendus aux enchères sont-ils authentiques?
Au risque de décevoir les acheteurs, la réponse est non, en tout cas pas à 100%...
Les squelettes mis aux enchères ont en général l'air complet, en bon état. Bref, un vrai miracle quand on sait qu'ils ont plusieurs dizaines de millions d'années à leur compteur. Jamais dans la nature on ne trouve de squelette intact, fossilisé à 100%.
La fossilisation est un processus complexe. A la mort de l'animal, les os doivent être enfouis rapidement et subir un ensemble de réactions chimiques dans des conditions particulières pour se transformer en fossile. Ensuite, la couche sédimentaire qui le renferme va être plus ou moins altérée et remodelée pendant des millions d'années jusqu'à ce que l'on retrouve le fossile. La plupart du temps, on ne découvre que des fragments d'os plus ou moins épars.
Scène de fouilles paléontologiques à Angeac (France), croquée par le dessinateur Mazan.
Les squelettes mis aux enchères sont en partie reconstitués, c'est-à-dire que pour remplacer les os manquants, il a fallu fabriquer des os de substitution en résine, en supposant leur forme et leur position. C'est un peu comme si on avait retrouvé le tableau de la Joconde à moitié complet et que l'on avait peint la moitié restante, sans savoir si ce que l'on a peint correspondait réellement au tableau original.
Les restaurations, même les musées le font pour certains squelettes exposés, de manière à présenter quelque chose qui soit plus parlant au public. Mais, contrairement aux fossiles aux enchères, elles sont faites de manière à pouvoir distinguer la partie reconstituée de la partie originale. Ainsi, le paléontologue Christian de Muizon reconnaissait en 2008 face au squelette de Triceratops aux enchères: "Les os naturels du Triceratops ont été partiellement peints à la gouache pour les harmoniser avec les pièces reconstituées en résine. Cela s'apparente à du camouflage. C'est l'inverse de l'esprit dans lequel nous travaillons au Muséum: nous signalons clairement les pièces fausses avec une couleur qui tranche, dans un but pédagogique."
Le crocodile Sarcosuchus imperator, arrivé récemment dans la galerie de paléontologie du Muséum de Paris. Les parties manquantes du squelette ont été reconstituées, mais de manière volontairement visible, comme les pattes et la queue sur la photo. Les parties originales sont bien documentées scientifiquement.
Pour les ventes aux enchères, tout est donc fait pour que le squelette apparaisse intact. Là encore, c'est par souci d'esthétisme, de mise en scène. Mais les restaurations sont parfois tellement importantes que l'on peut vraiment parler de sculpture plutôt que d'un fossile. Au moins la boucle est bouclée: les fossiles mis en vente, présentés comme des oeuvres d'art, n'en sont finalement pas si éloignés.
De plus, les fossiles aux enchères ont été la plupart du temps reconstitués à partir de plusieurs squelettes différents (on parle de "squelettes composites"): on a pris un tibia d'un individu qu'on a collé avec le fémur d'un autre, le bassin d'un 3e, etc. C'est une chimère. Le tout est de faire un objet qui paraisse crédible. Là encore, c'est comme si on vendait un tableau en partie peint par Léonard de Vinci, en partie par un de ses disciples, en partie par un anonyme, bref une mosaïque. On est loin de l'objet scientifique, d'autant plus que les maisons de vente aux enchères conservent de manière opaque la traçabilité des reconstitutions réalisées.
D'ailleurs, en 2008, le squelette de Triceratops avait fait polémique. Il n'avait tout d'abord pas trouvé preneur lors de la vente, puis a été acheté par un collectionneur américain à l'amiable après la vente. Selon l'organisateur de la vente, le fossile était complet à 70%. Mais ce n'était pas l'avis du paléontologue Christian de Muizon, directeur du département histoire de la Terre du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN): "Je ne suis pas grimpé sur une échelle pour voir chacune des vertèbres, mais après avoir fait le tour de l'animal, je dirais qu'il est très très largement reconstitué, sans doute à près de 60%. Les côtes notamment sont toutes fausses selon moi: en effet ces ossements longs sont si fragiles qu'ils nécessitent d'ordinaire une armature pour les soutenir. Ici, on n'en voit pas trace".
Autre exemple, avec le squelette de Spinosaurus aux enchères en 2009. Voici un extrait du catalogue de l'exposition le présentant: "Concernant le spécimen mis en vente, il faut considérer qu'il est constitué par environ 50% de fossiles originaux. Les parties originelles, toutefois, ont été assemblées à partir des restes osseux et des fragments recueillis sur plusieurs localités de la région de Kem-Kem, au Maroc, sur une période d'environ 25 ans. Néanmoins, bien que vraisemblablement appartenant à des individus différents, les vestiges sont tous homogène en ce qui concerne les dimensions, c'est-à-dire, ils ont appartenu à des animaux de taille comparable. (...) Cependant, les parties originelles, le fruit d'un ramassage qui a duré 25 années environ, sont arrivées auprès de leur laboratoire en état fragmentaire." Cela explique sans doute que ce Spinosaure chimérique n'a pas encore trouvé d'acheteur.
Enfin, les fossiles sont parfois mis en scène de manière abusive. En avril 2009 par exemple, figurait dans le catalogue de Christie's un nid de dinosaure contenant neuf petits. A côté de la couvée, une mère dinosaure, semblant protéger le nid d'un regard attendrissant. "Il est clair que tout cela avait été arrangé", selon Eric Buffetaut, paléontologue du CNRS rattaché à l'Ecole Normale Supérieure à Paris. "Il me semble que c'est un squelette adulte qui a été trouvé indépendamment du nid et que les deux pièces ont été juxtaposées."
Responsable de cette vente, Eric Mickeler ne s'en était pas caché. Encore fallait-il qu'un journaliste lui pose la question. "Bien évidemment, ce n'est pas la mère des petits. D'ailleurs, nous ne savons même pas s'il s'agit d'un dinosaure mâle ou femelle! L'esthétisme a été privilégié même si, dans ce cas précis, j'estime que nous aurions pu nous passer de cet arrangement. Le nid en lui-même était une pièce exceptionnelle."
Une maman dinosaure lors de l’éclosion de ses oeufs. Scène reconstituée à partir de nids fossilisés avec coquilles et jeunes, attribués à l'espèce Maiasaura, dont le nom signifie littéralement "reptile bonne mère".
Voir en complément la discussion sur le forum: Les oeufs de dinosaures.
Photo prise lors de l'exposition "Le festin des dinosaures" au Palais de la Découverte à Paris en 2005.
Les dinosaures mis aux enchères ont-ils un intérêt scientifique?
Etant donné l'opacité sur le lieu précis de la découverte, sur les découvreurs, sur les conditions de préparation et de restauration, la proportion de restauration, la nature composite des ossements, la non-distinction entre éléments originaux et restaurés, etc., la réponse est donc souvent: non. Dans certains cas, les fossiles vendus auraient pu avoir un intérêt pour la recherche, mais les conditions dans lesquelles ils sont vendus ne le permettent plus.
Dans de nombreux cas, les fossiles mis en vente sont des espèces très courantes, bien étudiées et depuis longtemps. Dans une interview, Ronan Allain nous confiait en effet: "Ce qui est vendu, la plupart du temps, c'est des choses qui sont connues. Là, dans ce qui a été vendu [en 2010], on connaissait tous les spécimens. C'est peut-être le plus grand Allosaure, mais cela reste un Allosaure. Les Allosaures, il y en a un bon nombre de squelettes aux Etats-Unis. On se demande quel est l'intérêt, c'est d'un commun.... Si les gens veulent s'acheter un dinosaure, il existe de très bonnes répliques. Il y a des boîtes qui font ça. Vous pouvez acheter votre Allosaure complet pour des prix qui sont tout à fait abordables, ce que font les musées."
Effectivement, certaines sociétés proposent à chacun d'acquérir un moulage de squelette de dinosaure. Par exemple, chez MyDinosaurs, vous pouvez acheter une réplique d'un squelette complet de T.rex pour 15000 euros. On est très loin des 8 millions de Sue...
Déontologiquement, les méthodes des maisons de vente aux enchères sont difficilement compatibles avec la démarche des muséums. On a d'un côté une entreprise dont le but est de gagner le plus d'argent. De l'autre, une institution officielle qui étudie les êtres vivants de la manière la plus scientifique possible.
Pour une maison de ventes aux enchères, la valeur d'un fossile est sa valeur marchande. Pour un paléontologue, c'est son intérêt scientifique. Or, l'étude scientifique d'un fossile commence dès son dégagement. Il faut pouvoir étudier l'aspect, la position de chaque ossement, ainsi que ses relations avec son milieu pour pouvoir récolter le plus d'informations et en déduire de façon la plus précise possible les causes de la mort de l'animal, les conditions de fossilisation, l'histoire du gisement... Le fait de présenter un squelette complet peut certes paraître impressionnant pour les non connaisseurs, mais a finalement beaucoup moins d'intérêt pour les paléontologues. Les fossiles ont alors perdu à tout jamais une partie de leurs informations.
Crâne du dinosaure Edmontosaurus vendu aux enchères chez Christie's.
Les maisons de vente aux enchères se défendent en affirmant que les fossiles sont passés dans les mains d'experts. Mais dès qu'on leur demande des précisions, le discours reste toujours très évasif. Qui veut en savoir plus sur le plésiosaure présenté à la vente en 2010 lira, comme y invite le catalogue, l'"article de Paris Match, n°3147". Très scientifique comme source, bien sûr. Quant au cher allosaure, l'information est plus vague. Il est écrit qu'il provient d'"une ancienne collection allemande", et on apprend officieusement par Eric Mickeler qu'il a été trouvé "aux environs de 2005, dans un terrain privé, par un groupe de trois paléontologues - un Canadien, un Américain, un Suisse - qui y ont acheté une concession pour fouiller. Ils souhaitent garder l'anonymat pour ne pas attiser les convoitises"...
La plupart des ventes de fossiles aux enchères en France sont organisées par le même "expert", Eric Mickeler. Par exemple, pour la vente aux enchères 2011, on trouve dans le dossier de presse: "Ces spécimens parfaitement authentiques ont été expertisés par Eric Mickeler, consultant pour l'histoire naturelle chez Sotheby's". Or, quand on regarde le CV d'Eric Mickeler, on découvre qu'il possède un BTS de biologie végétale et enseigne l'ornithologie tropicale. On voit mal où est le rapport avec la paléontologie et en quoi il pourrait être expert en ce domaine. Dans le milieu scientifique, l'une des règles est que l'on ne peut pas faire autorité en dehors de son domaine. Cela n'empêche pas les maisons de vente aux enchères d'avoir comme caution des experts plus ou moins anonymes, en guise de validation scientifique. Ce manque de sérieux ne donne pas beaucoup de valeur scientifique aux études qu'elles réalisent.
Mais les acheteurs qui ont les moyens de se payer ces fossiles de luxe n'ont en général pas les connaissances et compétences nécessaires pour reconnaître la valeur scientifique des objets proposés. Ce n'est pas ce qui les intéresse et les maisons de vente aux enchères l'ont bien compris en mettant en avant d'autres aspects comme nous l'avons vu précédemment.
A suivre: Le milieu des enchères et celui de la recherche scientifique sont-ils conciliables?