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Fossiles aux enchères: la polémique
Continuons notre dossier sur les ventes de fossiles aux enchères. Les enjeux étant posés, faisons le tour de la polémique qui oppose les chercheurs aux maisons de vente aux enchères. Leurs arguments sont-ils recevables? Les ventes de dinosaures aux enchères sont-elles légales? Faut-il les interdire au nom de la recherche scientifique et du patrimoine de l'humanité?
Les ventes aux enchères de dinosaures se succèdent depuis quelques années en France. Les squelettes proposés, parfois complets mais reconstitués, s'arrachent à prix d'or, ce qui explique en partie qu'à l'heure actuelle et sauf exception, les acheteurs ne sont plus les institutions publiques.
Les ventes de fossiles aux enchères sont-elles légales?
Bien sûr, les responsables des ventes de fossiles aux enchères jurent leurs grands dieux que tout est en règle, contrôlé, vérifié et qu'ils ont les autorisations qu'il faut. Ainsi, selon Eric Mickeler: "Une partie de mon travail (...) consiste justement à vérifier que les pièces vendues sont bien légales et je peux vous assurer qu'il n'existe aucun trafic ou alors de manière tout à fait marginal. Les législations diffèrent dans chaque pays, mais nous les respectons toutes."
La règlementation qui s'applique au patrimoine naturel est en effet très différente d'un pays à l'autre. Tellement différente qu'il est très difficile d'y voir clair: selon les pays, les fossiles peuvent être considérés comme patrimoine géologique, ailleurs comme élément naturel, ou encore comme élément culturel. Quelques exemples:
- Au Canada, une loi stricte y interdit le commerce de squelettes de dinosaure, mais elle permet la vente d'autres types de fossiles;
- Dans le même continent, pour plusieurs états américains comme le Montana et le Dakota du Sud, ou bien en Argentine, le commerce de dinosaures y est autorisé et on observe la vente de permis privés à prix d'or, donnant parfois lieu à des fouilles frénétiques qui alimentent les marchés du monde entier.
- Quant à la Chine, c'est le pays qui a l'une des lois les plus strictes du monde en la matière, mais qui a du mal à l'appliquer comme en témoignent les nombreux spécimens sur le marché venant de Chine. Ainsi, en 2002, les Etats-Unis avaient restitué quatorze tonnes de fossiles sortis illégalement de Chine. Et une question posée sur le site de l'ambassade de la République Populaire de Chine en France est très claire:
Question: "Selon des reportages, une société américaine a récemment vendu à un grand prix aux enchères un fossile d'oeuf de dinosaure découvert en Chine. La Chine va-t-elle prendre des mesures pour le récupérer?"
Réponse: "Ces reportages ont attiré notre grande attention. Les départements concernés chinois sont en train de mener des enquêtes sur cette affaire. Si le résultat de ces enquêtes montre que ce fossile d'oeuf de dinosaure est d'origine chinoise, le gouvernement chinois va réclamer la récupération de ce fossile conformément aux conventions internationales concernées."
La disparité des règlementations est exploitée par les nombreux trafiquants de fossiles, qui n'hésitent pas à sortir illégalement des tonnes de fossiles d'un pays en contrebande, à vendre à des acheteurs peu regardants de la provenance, quitte à revendre des objets étiquetés provenance inconnue, ou à vendre des faux plus vrais que nature.
Dans le cas de la vente de fossiles à Drouot en 2009, un conservateur en chef honoraire du patrimoine, M. Gilles Pacaud, a examiné pour chacun des objets la législation de son pays d'origine. Le fait est que certains Etats, privilégiant le développement de leur économie, laissent des fossiles estimés de faible valeur sortir par conteneurs entiers. C'est pour extraire de tels objets que l'on creuse, dans les innombrables galeries fort mal étayées des monts Kem-Kem, au sud-est du Maroc. Surviennent inéluctablement des accidents - comme à Tafraout, où un homme et son fils ont disparu en 2009. De même, un véritable ballet de bulldozers se déploie dans les carrières de l'Office chérifien des phosphates (OCP) pour mettre au jour quelques ossements.
Le trafic d'objets paléontologiques est florissant, entretenu par un prix au marché noir permettant d'engranger d'énormes bénéfices. Les états ont du mal à contrôler tout ce qui passe leurs frontières. Les douaniers, par manque de formation ou d'effectifs sont parfois incapables de contrôler les fossiles. Et pourtant, de nombreuses lois internationales condamnent le trafic de matériel scientifique. La convention de l'Unesco sur l'importation, l'exportation et le transfert illicites des biens culturels interdit depuis 1970 aussi bien le trafic d'objets d'arts que des spécimens zoologiques, paléontologiques, botaniques et minéralogiques. Les douanes des pays membres arrivent quand même à saisir régulièrement des lots de biens passés illégalement aux frontières. En octobre 2010, alors que se déroulait la vente des fossiles de dinosaures à Paris, deux russes étaient condamnés pour le trafic de plus de 100 tonnes de matériel paléontologique, et 25 personnes étaient arrêtées en Asie pour trafic d'os de tigres.
Paléontologue au MNHN (Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris), Ronan Allain nous a récemment confié son avis sur la question: "Le matériel, quand c'est marqué Eurasie, on sait que ça vient de Chine. Et la Chine interdit l'export de fossiles. Le matériel qui vient du Maroc: normalement, il n'y a rien qui doit sortir du Maroc. On connait les mecs qui vendent ça. On sait qu'ils l'exportent en toute illégalité. Sotheby's le sait très bien aussi. Donc il y a une espèce d'hypocrisie qui m'énerve énormément. (...) On nous fait croire que c'est passé par un truc privé, on nous fait croire que les gens ont les autorisations, mais ils n'ont pas les autorisations. On sait que c'est passé illégalement, qu'il y a de la corruption, que tout est comme ça... J'aimerais bien que les gens viennent s'expliquer face aux caméras, mais si vous leur demandez, vous ne les verrez jamais ces gens-là."
En dehors du trafic, l'achat d'un fossile par un particulier pour le garder chez lui constitue un problème si ce fossile est réellement d'intérêt scientifique. On a vu que c'est loin d'être le cas le plus courant. Mais, selon la loi, tout nouveau spécimen devenu de facto une référence doit être déposé dans une collection officielle afin d'être rendu accessible et conservé dans des conditions optimales. Ce n'est donc pas le cas chez un particulier.
Ceci dit, il existe une forte demande et donc un marché des fossiles. Les ventes de fossiles aux enchères soulèvent de nombreux problèmes, dont certains concernent d'une manière générale tout commerce de pièces paléontologiques. Ces objets de valeur scientifique sont parfois achetés en toute illégalité par les collectionneurs, entretenant le pillage des patrimoines des états. Mais finalement, les ventes aux enchères, lorsqu'elles sont parfaitement en règle, permettent un meilleur contrôle du flux international des pièces scientifiques qui entrent dans des collections privées, puisque la légalité de la vente et la valeur de l'objet sont vérifiées.
Pourquoi les scientifiques sont-ils réticents à la vente de fossiles aux enchères?
Les relations entre le milieu des ventes aux enchères et le milieu scientifique sont complexes. Il y a d'abord le côté financier. Les prix ont atteint de telles proportions que cela dépasse parfois les capacités d'acquisition des institutions publiques, qui ne font pas le poids face à une guerre des prix de millionnaires. En cette période de crise, l'opinion publique aurait d'ailleurs sans doute du mal à comprendre que ses impôts financent l'achat de fossiles aux enchères pour plusieurs millions d'euros.
La spéculation sur le prix des fossiles fait bondir le paléontologue Ronan Allain, du MNHN: "Les gens qui se font de l'argent sur les fossiles, je trouve que c'est un scandale. Moi, si on me donne 1,3 million d'euros, j'en ramène 15 des squelettes... C'est complètement hallucinant de voir les prix auxquels ils sont vendus. (...) Cela ne rime à rien d'acheter ça à ces prix-là."
Heureusement, les ventes aux enchères ne sont pas les seuls endroits qui permettent aux muséums d'acquérir des pièces paléontologiques à étudier. Ils peuvent financer les expéditions qui permettent à leurs paléontologues de découvrir eux-mêmes de nouveaux fossiles d'intérêt scientifique. Mais l'envol du prix des fossiles fait que les permis de fouilles sur les terrains privés sont de plus en plus durs à obtenir auprès des propriétaires, qui déroulent le tapis rouge aux prospecteurs privés, rêvant que ces derniers déterrent dans leurs champs de maïs un T.rex valant des millions. Les muséums peuvent également bénéficier de dons d'amateurs, qui préfèrent voir leur collection confiée à des structures, pour les étudier, les mettre en valeur et les laisser accessibles au public.
Certaines sociétés peuvent également léguer leurs acquisitions à des musées et les aider à acquérir de nouveaux fossiles. Mais c'est une pratique très rare en France, même si les sommes obtenues par ce biais se trouvent en très grande partie exonérées d'impôt (par exemple à 90% pour l'argent versé par Total au MNHN pour l'acquisition d'une fluorite mise aux enchères en 2009 et classée Trésor national peu auparavant). En effet, Ronan Allain nous a confié: "Le mécénat est beaucoup moins développé en France que dans les autres pays. On a un petit peu de mal à trouver des mécènes sur des projets. Les grandes entreprises en France (Areva, Total...), font du mécénat, mais sur des projets gigantesques, de temps en temps. Et quand nous avons besoin de petites sommes, c'est déjà plus compliqué à les trouver."
Outre le peu d'intérêt scientifique des fossiles proposés aux enchères, y acheter un fossile fait mécaniquement monter les prix et développe par conséquent les fouilles lucratives. Un nombre croissant de personnes se mettent à fouiller le plus souvent sans autorisation les terrains fossilifères dans l'espoir d'y trouver des pièces qu'ils pourront revendre à bon prix. Le marché noir des fossiles a toujours existé, mais l'envolée des prix dans les ventes aux enchères contribue à attiser les vocations de chasseurs de fossiles.
D'ailleurs, la rétention d'informations pratiquée par les maisons de vente aux enchères est propice aux trafics et aux personnes peu scrupuleuses, prêtes à exploiter les différences entre les réglementations et les vides juridiques.
On comprend donc que les paléontologues ne soient pas très favorables au marché des fossiles aux enchères, d'autant plus que la rétention d'informations pratiquée par les maisons de vente aux enchères jette des doutes sur leur déontologie et leur sérieux. Contrôler l'information, c'est aussi pouvoir dire ce que l'on veut si l'information n'est pas vérifiable. On est loin des études scientifiques, publiées dans des revues avec peer-review, c'est-à-dire avec une évaluation avant publication de l'article par des évaluateurs compétents et indépendants du chercheur (vérification de la méthodologie, du raisonnement, des citations...) afin d'apporter les éventuelles corrections nécessaires. C'est le seul type de revue qui fait autorité en science et qui garantit la transparence et l'accessibilité de l'information. "Les revues spécialisées exigent même la traçabilité de chacune des pièces évoquées, avec mention des numéros de certification attribués par le MNHN ou par toute autre instance officielle", indique M. Michel Guiraud, directeur des collections du MNHN. "Elles refusent les publications qui dérogent à cette règle."
Mais le temps de la science n'est pas le temps des marchés et selon le Monde Diplomatique, nombre de collectionneurs expriment la crainte de voir les chercheurs monopoliser longtemps leurs pièces parce qu'ils désirent en faire une étude approfondie, qu'ils ont un emploi du temps surchargé ou manquent d'ardeur à la tâche.
De toute façon, pour les paléontologues, les fossiles n'ont pas de prix. Ce sont des objets appartenant au patrimoine de l'humanité, fruits de l'évolution et de millions d'années. Ils n'intéressent en ce sens pas que les spécialistes des fossiles, les paléontologues, mais également de très nombreux chercheurs en biologie de l'évolution, qui y trouvent les traces de l'évolution des êtres vivants, témoignages de la biodiversité passée et des processus de l'évolution de la vie au cours des temps géologiques. L'un des exemples les plus célèbres est celui des dinosaures à plumes, dont le célèbre Archaeopteryx. Ils font la une des journaux ces dernières années puisqu'ils démontrent de manière formelle l'origine dinosaurienne des oiseaux. Leur étude révèle jour après jour les nombreuses étapes par lesquelles ils sont passés. Dernières traces des dinosaures, les oiseaux constituent aujourd'hui le groupe de vertébrés le plus diversifié, devant les mammifères auxquels nous appartenons.
Ainsi, Christian de Muizon s'interrogeait en 2008 à propos des ventes de fossiles aux enchères: "Cela pose un problème éthique: il s'agit là d'un patrimoine non renouvelable, d'intérêt public. Quel sera son avenir dans des collections privées?"
Ainsi, quelles règles mettre sur le commerce d'êtres vivants? A quelles conditions peut-on transformer leurs restes en objet d'art? Est-ce respecter un être vivant que de négocier son fossile au plus offrant et le laisser trainer chez un particulier, qui pourra en faire ce qu'il veut parce qu'il avait un compte en banque suffisamment approvisionné? Peut-on traiter les fossiles comme n'importe quelle autre marchandise?
Les réponses à ces questions ne sont pas simples et diffèrent bien souvent d'une personne à une autre et d'un Etat à un autre, ce qui n'arrange rien en ces temps de mondialisation. Mais force est de constater qu'acheter un fossile aux enchères est loin d'être un acte anodin et qu'il serait caricatural d'en rester à l'opposition amateurs / scientifiques, ou maisons de vente aux enchères / paléontologues, sur le seul terrain de l'intérêt scientifique.
Les fossiles interpellent, suscitent de nombreuses questions sur nos origines et sur les origines de la vie. Témoins de l'évolution, la fascination qu'exercent ces animaux disparus il y a des millions d'années chez tous les publics les rendent d'autant plus précieux pour le patrimoine de l'humanité. Chacun est responsable du sort qui leur est fait.
Articles précédents:
- Les fossiles aux enchères ont-ils une valeur scientifique?
- Fossiles aux enchères: un nouveau marché
Les ventes de fossiles aux enchères sont-elles légales?
Bien sûr, les responsables des ventes de fossiles aux enchères jurent leurs grands dieux que tout est en règle, contrôlé, vérifié et qu'ils ont les autorisations qu'il faut. Ainsi, selon Eric Mickeler: "Une partie de mon travail (...) consiste justement à vérifier que les pièces vendues sont bien légales et je peux vous assurer qu'il n'existe aucun trafic ou alors de manière tout à fait marginal. Les législations diffèrent dans chaque pays, mais nous les respectons toutes."
La règlementation qui s'applique au patrimoine naturel est en effet très différente d'un pays à l'autre. Tellement différente qu'il est très difficile d'y voir clair: selon les pays, les fossiles peuvent être considérés comme patrimoine géologique, ailleurs comme élément naturel, ou encore comme élément culturel. Quelques exemples:
- Au Canada, une loi stricte y interdit le commerce de squelettes de dinosaure, mais elle permet la vente d'autres types de fossiles;
- Dans le même continent, pour plusieurs états américains comme le Montana et le Dakota du Sud, ou bien en Argentine, le commerce de dinosaures y est autorisé et on observe la vente de permis privés à prix d'or, donnant parfois lieu à des fouilles frénétiques qui alimentent les marchés du monde entier.
- Quant à la Chine, c'est le pays qui a l'une des lois les plus strictes du monde en la matière, mais qui a du mal à l'appliquer comme en témoignent les nombreux spécimens sur le marché venant de Chine. Ainsi, en 2002, les Etats-Unis avaient restitué quatorze tonnes de fossiles sortis illégalement de Chine. Et une question posée sur le site de l'ambassade de la République Populaire de Chine en France est très claire:
Question: "Selon des reportages, une société américaine a récemment vendu à un grand prix aux enchères un fossile d'oeuf de dinosaure découvert en Chine. La Chine va-t-elle prendre des mesures pour le récupérer?"
Réponse: "Ces reportages ont attiré notre grande attention. Les départements concernés chinois sont en train de mener des enquêtes sur cette affaire. Si le résultat de ces enquêtes montre que ce fossile d'oeuf de dinosaure est d'origine chinoise, le gouvernement chinois va réclamer la récupération de ce fossile conformément aux conventions internationales concernées."
La découverte du dinosaure Microraptor est liée à un squelette sorti illégalement de Chine, suite à un trafic et un montage du squelette qui a réussi à berner le célèbre magazine National Geographic.
La disparité des règlementations est exploitée par les nombreux trafiquants de fossiles, qui n'hésitent pas à sortir illégalement des tonnes de fossiles d'un pays en contrebande, à vendre à des acheteurs peu regardants de la provenance, quitte à revendre des objets étiquetés provenance inconnue, ou à vendre des faux plus vrais que nature.
Dans le cas de la vente de fossiles à Drouot en 2009, un conservateur en chef honoraire du patrimoine, M. Gilles Pacaud, a examiné pour chacun des objets la législation de son pays d'origine. Le fait est que certains Etats, privilégiant le développement de leur économie, laissent des fossiles estimés de faible valeur sortir par conteneurs entiers. C'est pour extraire de tels objets que l'on creuse, dans les innombrables galeries fort mal étayées des monts Kem-Kem, au sud-est du Maroc. Surviennent inéluctablement des accidents - comme à Tafraout, où un homme et son fils ont disparu en 2009. De même, un véritable ballet de bulldozers se déploie dans les carrières de l'Office chérifien des phosphates (OCP) pour mettre au jour quelques ossements.
Le trafic d'objets paléontologiques est florissant, entretenu par un prix au marché noir permettant d'engranger d'énormes bénéfices. Les états ont du mal à contrôler tout ce qui passe leurs frontières. Les douaniers, par manque de formation ou d'effectifs sont parfois incapables de contrôler les fossiles. Et pourtant, de nombreuses lois internationales condamnent le trafic de matériel scientifique. La convention de l'Unesco sur l'importation, l'exportation et le transfert illicites des biens culturels interdit depuis 1970 aussi bien le trafic d'objets d'arts que des spécimens zoologiques, paléontologiques, botaniques et minéralogiques. Les douanes des pays membres arrivent quand même à saisir régulièrement des lots de biens passés illégalement aux frontières. En octobre 2010, alors que se déroulait la vente des fossiles de dinosaures à Paris, deux russes étaient condamnés pour le trafic de plus de 100 tonnes de matériel paléontologique, et 25 personnes étaient arrêtées en Asie pour trafic d'os de tigres.
Paléontologue au MNHN (Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris), Ronan Allain nous a récemment confié son avis sur la question: "Le matériel, quand c'est marqué Eurasie, on sait que ça vient de Chine. Et la Chine interdit l'export de fossiles. Le matériel qui vient du Maroc: normalement, il n'y a rien qui doit sortir du Maroc. On connait les mecs qui vendent ça. On sait qu'ils l'exportent en toute illégalité. Sotheby's le sait très bien aussi. Donc il y a une espèce d'hypocrisie qui m'énerve énormément. (...) On nous fait croire que c'est passé par un truc privé, on nous fait croire que les gens ont les autorisations, mais ils n'ont pas les autorisations. On sait que c'est passé illégalement, qu'il y a de la corruption, que tout est comme ça... J'aimerais bien que les gens viennent s'expliquer face aux caméras, mais si vous leur demandez, vous ne les verrez jamais ces gens-là."
En dehors du trafic, l'achat d'un fossile par un particulier pour le garder chez lui constitue un problème si ce fossile est réellement d'intérêt scientifique. On a vu que c'est loin d'être le cas le plus courant. Mais, selon la loi, tout nouveau spécimen devenu de facto une référence doit être déposé dans une collection officielle afin d'être rendu accessible et conservé dans des conditions optimales. Ce n'est donc pas le cas chez un particulier.
Ceci dit, il existe une forte demande et donc un marché des fossiles. Les ventes de fossiles aux enchères soulèvent de nombreux problèmes, dont certains concernent d'une manière générale tout commerce de pièces paléontologiques. Ces objets de valeur scientifique sont parfois achetés en toute illégalité par les collectionneurs, entretenant le pillage des patrimoines des états. Mais finalement, les ventes aux enchères, lorsqu'elles sont parfaitement en règle, permettent un meilleur contrôle du flux international des pièces scientifiques qui entrent dans des collections privées, puisque la légalité de la vente et la valeur de l'objet sont vérifiées.
Pourquoi les scientifiques sont-ils réticents à la vente de fossiles aux enchères?
Les relations entre le milieu des ventes aux enchères et le milieu scientifique sont complexes. Il y a d'abord le côté financier. Les prix ont atteint de telles proportions que cela dépasse parfois les capacités d'acquisition des institutions publiques, qui ne font pas le poids face à une guerre des prix de millionnaires. En cette période de crise, l'opinion publique aurait d'ailleurs sans doute du mal à comprendre que ses impôts financent l'achat de fossiles aux enchères pour plusieurs millions d'euros.
La spéculation sur le prix des fossiles fait bondir le paléontologue Ronan Allain, du MNHN: "Les gens qui se font de l'argent sur les fossiles, je trouve que c'est un scandale. Moi, si on me donne 1,3 million d'euros, j'en ramène 15 des squelettes... C'est complètement hallucinant de voir les prix auxquels ils sont vendus. (...) Cela ne rime à rien d'acheter ça à ces prix-là."
Heureusement, les ventes aux enchères ne sont pas les seuls endroits qui permettent aux muséums d'acquérir des pièces paléontologiques à étudier. Ils peuvent financer les expéditions qui permettent à leurs paléontologues de découvrir eux-mêmes de nouveaux fossiles d'intérêt scientifique. Mais l'envol du prix des fossiles fait que les permis de fouilles sur les terrains privés sont de plus en plus durs à obtenir auprès des propriétaires, qui déroulent le tapis rouge aux prospecteurs privés, rêvant que ces derniers déterrent dans leurs champs de maïs un T.rex valant des millions. Les muséums peuvent également bénéficier de dons d'amateurs, qui préfèrent voir leur collection confiée à des structures, pour les étudier, les mettre en valeur et les laisser accessibles au public.
Reconstitution de la région de la Charente au Crétacé par le dessinateur Mazan, grâce aux fouilles du gisement de Cherves-de-Cognac.
Certaines sociétés peuvent également léguer leurs acquisitions à des musées et les aider à acquérir de nouveaux fossiles. Mais c'est une pratique très rare en France, même si les sommes obtenues par ce biais se trouvent en très grande partie exonérées d'impôt (par exemple à 90% pour l'argent versé par Total au MNHN pour l'acquisition d'une fluorite mise aux enchères en 2009 et classée Trésor national peu auparavant). En effet, Ronan Allain nous a confié: "Le mécénat est beaucoup moins développé en France que dans les autres pays. On a un petit peu de mal à trouver des mécènes sur des projets. Les grandes entreprises en France (Areva, Total...), font du mécénat, mais sur des projets gigantesques, de temps en temps. Et quand nous avons besoin de petites sommes, c'est déjà plus compliqué à les trouver."
Outre le peu d'intérêt scientifique des fossiles proposés aux enchères, y acheter un fossile fait mécaniquement monter les prix et développe par conséquent les fouilles lucratives. Un nombre croissant de personnes se mettent à fouiller le plus souvent sans autorisation les terrains fossilifères dans l'espoir d'y trouver des pièces qu'ils pourront revendre à bon prix. Le marché noir des fossiles a toujours existé, mais l'envolée des prix dans les ventes aux enchères contribue à attiser les vocations de chasseurs de fossiles.
D'ailleurs, la rétention d'informations pratiquée par les maisons de vente aux enchères est propice aux trafics et aux personnes peu scrupuleuses, prêtes à exploiter les différences entre les réglementations et les vides juridiques.
On comprend donc que les paléontologues ne soient pas très favorables au marché des fossiles aux enchères, d'autant plus que la rétention d'informations pratiquée par les maisons de vente aux enchères jette des doutes sur leur déontologie et leur sérieux. Contrôler l'information, c'est aussi pouvoir dire ce que l'on veut si l'information n'est pas vérifiable. On est loin des études scientifiques, publiées dans des revues avec peer-review, c'est-à-dire avec une évaluation avant publication de l'article par des évaluateurs compétents et indépendants du chercheur (vérification de la méthodologie, du raisonnement, des citations...) afin d'apporter les éventuelles corrections nécessaires. C'est le seul type de revue qui fait autorité en science et qui garantit la transparence et l'accessibilité de l'information. "Les revues spécialisées exigent même la traçabilité de chacune des pièces évoquées, avec mention des numéros de certification attribués par le MNHN ou par toute autre instance officielle", indique M. Michel Guiraud, directeur des collections du MNHN. "Elles refusent les publications qui dérogent à cette règle."
Mais le temps de la science n'est pas le temps des marchés et selon le Monde Diplomatique, nombre de collectionneurs expriment la crainte de voir les chercheurs monopoliser longtemps leurs pièces parce qu'ils désirent en faire une étude approfondie, qu'ils ont un emploi du temps surchargé ou manquent d'ardeur à la tâche.
De toute façon, pour les paléontologues, les fossiles n'ont pas de prix. Ce sont des objets appartenant au patrimoine de l'humanité, fruits de l'évolution et de millions d'années. Ils n'intéressent en ce sens pas que les spécialistes des fossiles, les paléontologues, mais également de très nombreux chercheurs en biologie de l'évolution, qui y trouvent les traces de l'évolution des êtres vivants, témoignages de la biodiversité passée et des processus de l'évolution de la vie au cours des temps géologiques. L'un des exemples les plus célèbres est celui des dinosaures à plumes, dont le célèbre Archaeopteryx. Ils font la une des journaux ces dernières années puisqu'ils démontrent de manière formelle l'origine dinosaurienne des oiseaux. Leur étude révèle jour après jour les nombreuses étapes par lesquelles ils sont passés. Dernières traces des dinosaures, les oiseaux constituent aujourd'hui le groupe de vertébrés le plus diversifié, devant les mammifères auxquels nous appartenons.
Ci-dessus: Reconstitution du dinosaure Archaeopteryx, l'un des premiers oiseaux ayant existé.
Ci-dessous: Deux "dinosaures-autruches", Nomingia et Caudipteryx. Ils appartiennent aux Oviraptorosauria, groupe de dinosaures proches de l'origine des oiseaux, mais qui n'est pas parvenu jusqu'à nous.
Ainsi, Christian de Muizon s'interrogeait en 2008 à propos des ventes de fossiles aux enchères: "Cela pose un problème éthique: il s'agit là d'un patrimoine non renouvelable, d'intérêt public. Quel sera son avenir dans des collections privées?"
Ainsi, quelles règles mettre sur le commerce d'êtres vivants? A quelles conditions peut-on transformer leurs restes en objet d'art? Est-ce respecter un être vivant que de négocier son fossile au plus offrant et le laisser trainer chez un particulier, qui pourra en faire ce qu'il veut parce qu'il avait un compte en banque suffisamment approvisionné? Peut-on traiter les fossiles comme n'importe quelle autre marchandise?
Les réponses à ces questions ne sont pas simples et diffèrent bien souvent d'une personne à une autre et d'un Etat à un autre, ce qui n'arrange rien en ces temps de mondialisation. Mais force est de constater qu'acheter un fossile aux enchères est loin d'être un acte anodin et qu'il serait caricatural d'en rester à l'opposition amateurs / scientifiques, ou maisons de vente aux enchères / paléontologues, sur le seul terrain de l'intérêt scientifique.
Les fossiles interpellent, suscitent de nombreuses questions sur nos origines et sur les origines de la vie. Témoins de l'évolution, la fascination qu'exercent ces animaux disparus il y a des millions d'années chez tous les publics les rendent d'autant plus précieux pour le patrimoine de l'humanité. Chacun est responsable du sort qui leur est fait.
Articles précédents:
- Les fossiles aux enchères ont-ils une valeur scientifique?
- Fossiles aux enchères: un nouveau marché