Actualités des dinosaures
Angeac-Charente: les découvertes de la première campagne de fouilles
Cet été a été annoncé en grande pompe la découverte du fémur de dinosaure sans doute le plus long du monde, et la confirmation de la découverte de l'un des sites paléontologiques les plus prometteurs, à Angeac-Charente en France. Retour sur cette découverte et sur le travail qu'il reste à faire... Deuxième partie: récit des découvertes de la première campagne de fouilles (fin août 2010).
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Suite au premier sondage effectué en début d'année 2010, il est clair que la carrière d'Angeac-Charente renferme vraisemblablement sur plusieurs centaines de mètres carrés des trésors paléontologiques en nombre, datés du Crétacé inférieur, soit entre 145 et 110 millions d'années environ, une période où l'on a peu de fossiles par ailleurs. De plus, la roche dans laquelle sont pris les fossiles (un mélange d'argile et de lignite) devrait permettre de trouver un certain nombre d'ossements intacts, ou peu dégradés. En outre, la société Audoin, qui exploite la carrière, coopère de manière exemplaire avec les scientifiques. L'accès au site est donc garanti en toute sécurité. Enfin, la couche fossilifère étant dans une carrière exploitée, enfouie sous plusieurs mètres d'alluvions et régulièrement inondée, les fossiles ne sont pas accessibles au pillage, ce qui garantit leur conservation.
La diversité des fossiles mis au jour lors du sondage préliminaire était déjà prometteuse: dinosaures sauropodes et théropodes, tortues, crocodiles, mais également de nombreux restes de végétaux. Les fossiles extraits sont stockés à proximité au Musée d'Angoulême, dont Jean-François Tournepiche est le conservateur chargé des collections d'archéologie. Didier Néraudeau, du laboratoire Géosciences de Rennes 1 est venu prêter main forte pour l'étude et l'identification des fossiles de vertébrés.
Décision est donc prise de débuter les fouilles sur le site, à plus grande échelle. Il faut cependant du temps pour les organiser, et surtout attendre des conditions favorables, c'est-à-dire une baisse du niveau de la nappe phréatique de la Charente, donc pas avant la fin de l'été 2010.
Invité à venir voir les fouilles par Jean-François Tournepiche, le dessinateur de BD Mazan a dessiné presque au jour le jour l'évolution des fouilles. Photo: Isabelle Louvier
La première campagne de fouilles a ainsi eu lieu pendant vingt jours, de fin août à début septembre, par une équipe coordonnée par le Musée d'Angoulême et le laboratoire Géosciences Rennes (CNRS / Université de Rennes 1), avec le concours de scientifiques et de techniciens du Centre de recherche sur la paléobiodiversité et les paléoenvironnements (CNRS / MNHN), de l'Université de Lyon et du Musée des dinosaures d'Esperaza (Aude).
Les fouilleurs au travail. Photo Isabelle Louvier
Cette première campagne a permis de mettre au jour plus de 400 ossements, dont plus de 200 pièces de grand intérêt. Ces dernières proviennent d'au moins 3 espèces de dinosaures, associés à des restes de deux types de tortues et de trois espèces de crocodiles.
Présentation de quelques fossiles récoltés cet été. Photo AFP - Philippe Messelet
En dehors des fossiles de vertébrés, l'un des principaux intérêts de la carrière, c'est qu'elle recèle aussi des plantes fossilisées, des pollens, des spores et des algues. Ce qui signifie qu'à partir du gisement, on devrait être capable de reproduire tout le paléoenvironnement, autrement dit l'écosystème de cette période.
Le gisement est d'autant plus exceptionnel que les os sont présents en grand nombre, mais aussi remarquablement bien conservés, suite à leur enfouissement rapide dans les dépôts argileux d'un marécage qui s'étendait sur la région d'Angeac-Charente au cours du Crétacé inférieur.
Les os sont fossilisés à Angeac dans une argile, un sédiment très "gras" qui les a englués rapidement. Cela les a protégés de l'usure et de la cassure. La plupart des os ont gardé ainsi leur aspect d'origine, lisse et brillant, comme s'ils appartenaient à des squelettes ne datant que de quelques années. Selon Didier Néraudeau, les fossiles sont parfois si bien sauvegardés que si un dinosaure a été mordu par un autre animal, l'os en a parfois gardé la trace. Trois groupes de dinosaures ont été identifiés:
1- de grands dinosaures herbivores (35 à 40 mètres de long) de type sauropode, proches des Turiasaurus ou Tastavinsaurus du Crétacé d'Espagne, représentés à Angeac par des vertèbres, des os des pieds et des membres (fémur, humérus) et plusieurs dents.
2- des petits dinosaures herbivores de type ornithopode, dont on cherche encore à déterminer précisément les groupes, car nous n'en possédons que quelques restes (une dent et quelques os).
3- des carnivores de taille moyenne de type théropode, proches des Allosauridés, les plus abondants à Angeac. En effet, près de 80% des os exhumés cet été à Angeac appartient à un dinosaure carnivore d'environ 9 mètres de long: pas moins de 5 individus, jeunes et adultes, ont été comptabilisés d'après le nombre de fémurs retrouvés.
Photo du fémur d'un théropode. Copyright: Didier Néraudeau (CNRS/Université de Rennes 1)
Mais la star de cette campagne de fouilles est sans conteste le fameux fémur de sauropode, d'au moins 2,20 mètres de long. C'est la pièce la plus remarquable, parce qu'elle est complète et appartient à un sauropode géant d'une taille encore inconnue en Europe (sans doute dans les 30 à 40 mètres de long, pour 40 tonnes). Le record du plus long fémur de dinosaure jamais trouvé en Europe aura tenu deux petites semaines pour les Espagnols de Riodeva, près de Teruel, dans l'est du pays. "Leur" fémur gauche avait été mesuré à 1,92 m...
Photo du fémur de sauropode mesurant plus de 2,2 mètres de long. Crédits photo: GrandAngoulême 2010 - P. Blanchier
Et le gisement semble promettre d'autres surprises. Ainsi Jean-François Tournepiche a-t-il révélé qu'une extrémité d'un autre fémur avait été identifiée et que celle-là était "20% plus grosse" que celle du fémur retrouvé entier... Le site s'étendant sur plusieurs milliers de mètres carrés, on peut penser à de nombreuses autres découvertes d'importance dans les prochaines années.
Le gisement d'Angeac apporte également de nombreux renseignements pour une période assez peu connue en paléontologie, le Crétacé inférieur. Il existe peu de gisements contemporains, ce qui rend celui d'Angeac d'autant plus important. En France, les dinosaures du Crétacé inférieur sont rares et ne sont connus, la plupart du temps, que par des restes fragmentaires. Ainsi seuls trois genres de dinosaures ont été identifiés à ce jour: l'ornithopode Iguanodon et les deux théropodes Genusaurus et Erectopus.
A quelques kilomètres de là, on pense bien sûr au gisement de Cherves-Richemont, sans doute plus âgé d'une poignée de millions d'années. Les restes, encore à l'étude, y sont moins colossaux, mais beaucoup plus nombreux. Ils attestent la présence de nombreux dinosaures, crocodiles et tortues. Il y aurait donc deux sites complémentaires côte à côte.
Il existe également en France un autre site riche en restes de dinosaures, à Esperaza dans l'Aude, mais les conditions d'extraction (un sol calcaire très dur) ne permettent pas d'y sortir de grandes quantités d'os chaque année.
Des faunes plus riches et probablement contemporaines du site d'Angeac ont été décrites en Angleterre (en particulier sur l'île de Wight) et en Espagne (dans la Province de Cuenca). Les faunes les plus remarquables de cette époque sont, sans conteste, celles de la Province Liaoning en Chine où ont été décrits les dinosaures carnivores à plumes. Une comparaison avec l'ensemble de ces faunes de dinosaures devra donc être entreprise pour déterminer les affinités et les particularités des dinosaures d'Angeac.
Il reste donc beaucoup à faire. Le travail scientifique ne fait que commencer...
Reconstitution du gisement d'Angeac-Charente au Crétacé inférieur - Copyright Mazan
A suivre: Le site d'Angeac au cœur de la recherche paléontologique française.
Relire le 1er article: Angeac: histoire de la découverte de la carrière aux dinosaures.
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