Le dilophosaure crachait-il du venin comme dans Jurassic Park?

En résumé:
Non, il n'y a aucune preuve montrant que le dilophosaure aurait pu attaquer comme dans les films Jurassic Park et Jurassic World.

Le dilophosaure est l'un des dinosaures de la saga Jurassic Park le plus célèbre. Il apparait dès le premier film, Jurassic Park, et revient dans le dernier film de la 2e trilogie, Jurassic World Dominion (Jurassic World: Le Monde d'après en français). À chaque fois, son comportement est remarquable: il déploie une crête colorée à l'arrière de son crâne et il projette une substance venimeuse sur sa proie. Il a beau être petit, on sent qu'il ne laisse aucune chance à ses proies dans ces films.

Scène de Jurassic Park
Scène de Jurassic Park, où le dilophosaure attaque l'informaticien qui venait de voler les embryons de dinosaures.
La suite sera fatale à Dennis Nedry...
© Universal Studios, 1993.

Un dinosaure venimeux?

Dans Jurassic Park, le dilophosaure "crache" une substance collante à la figure de sa proie. Dans la nature actuelle, certains serpents comme les cobras africains possèdent ce comportement, ils sont capables de projeter leur venin irritant pour les yeux. Ces animaux possèdent tous une glande à venin (correspondant à une glande salivaire modifiée), reliée à des dents spécialisées appelées crochets et qui possèdent un sillon dans lequel coule le venin. Le sillon est soit ouvert comme une gouttière, soit fermé comme un canal, percé d'une fente à l'avant permettant d'injecter ou de projeter le venin.

Quelles traces sur les fossiles de Dilophosaurus pourraient correspondre à des indices d'un cracheur de venin? Pour les glandes à venin, c'est compliqué car les organes ne se fossilisent pas ou très peu. Cependant, les squelettes de Dilophosaurus recensés à ce jour et réétudiés récemment, ne semblent pas présenter d'indice de ce type de structure. Quant aux dents du Dilophosaurus, elles sont pleines, ne présentent pas de sillon et sont toutes de même type. Donc pas de preuve d'une glande à venin ni de crochets. Pas de trace non plus d'une musculature spécifique permettant la compression des glandes à venin, nécessaire pour éjecter le venin. L'hypothèse du dilophosaure cracheur de venin peut être raisonnablement écartée.

Dilophosaurus
Reconstitution scientifique actuelle du squelette du Dilophosaurus.
Artiste: Scott Hartman.

Un dinosaure à crête et à collerette?

Le dilophosaure de Jurassic Park possède deux grandes crêtes au sommet de son crâne. C'est le cas aussi chez les fossiles et c'est cette caractéristique qui lui a donné son nom, signifiant littéralement lézard à deux crêtes. Pas de problème de ce côté-là, par contre, leur taille est exagérée dans le film par rapport aux fossiles.

Avant de cracher son venin, le dilophosaure de Jurassic Park déploie une grande collerette colorée. Cette idée s'inspire d'une espèce de lézard actuelle, le Chlamydosaurus, appelée aussi lézard à collerette ou dragon d'Australie, mais il ne crache pas de venin. Chez cette espèce, la collerette est soutenue par les prolongements cartilagineux des os hyoïdes qui permettent son déploiement. Les os hyoïdes se situent entre le crâne et le cou, ils sont très fins et parfois cartilagineux, leur préservation sur les fossiles de dinosaures est rare. Ceux de Dilophosaurus n'ont pas été retrouvés et la peau de ce dinosaure ne s'est pas fossilisée. Cependant, l'évolution de ces os chez les archosaures montre que les théropodes proches de Dilophosaurus n'ont pas d'os hyoïdes similaires à ceux du lézard à collerette et qu'ils sont très simples. Ce ne sont pas des structures qui pourraient porter de longs prolongements cartilagineux supportant l'éventuelle collerette du dilophosaure, pas plus que les os de l'arrière du crâne ou les vertèbres cervicales. L'hypothèse du dilophosaure porteur d'une collerette peut être raisonnablement écartée.

Dilophosaure
Reconstitution du dilophosaure de Jurassic Park lors d'une exposition dans un centre commercial.
Photo: Arnaud Salomé.

Des choix cinématographiques discutables

Le comportement des dilophosaures cracheurs de Jurassic Park n'est pas très cohérent. En effet, les serpents cracheurs actuels utilisent cette technique pour se défendre et prendre la fuite. Le venin projeté peut surprendre l'adversaire, est irritant et peut engendrer une cécité temporaire. Il est non mortel et plutôt dissuasif. Ce n'est pas une aide dans l'attaque d'une proie, contrairement au comportement du film.

De même, le déploiement de la collerette chez le lézard qui en possède une aujourd'hui correspond à un comportement de défense, pour effrayer des adversaires, lorsque le lézard se sent menacé. Ce n'est pas une technique de chasse.

Le scénario du film Jurassic Park est dû à la collaboration du réalisateur Steven Spielberg et du romancier Michael Crichton. Les choix qu'ils ont fait pour le comportement du dilophosaure n'ont donc aucun fondement scientifique, cependant le résultat est très cinématographique. Cela fait partie des scènes qui ont le plus impressionné le public et suscité de nombreux commentaires. Cela explique sans doute que ce comportement a été réutilisé par d'autres scénaristes, près de 30 ans plus tard, dans le 6e film de la série, Jurassic World: Le Monde d'après.

Quelques références

  • Hill R.V. et al. (2015). A complex hyobranchial apparatus in a Cretaceous dinosaur and the antiquity of avian paraglossalia. Zoological Journal of the Linnean Society, Volume 175, Issue 4, 1 December 2015, Pages 892–909. DOI.
  • Li Z. et al. (2018). Convergent evolution of a mobile bony tongue in flighted dinosaurs and pterosaurs. PLoS ONE 13(6): e0198078. DOI.
  • Marsh A. & Rowe T. (2020). A comprehensive anatomical and phylogenetic evaluation of Dilophosaurus wetherilli (Dinosauria, Theropoda) with descriptions of new specimens from the Kayenta Formation of northern Arizona. Journal of Paleontology, 94(S78), 1-103. DOI.
  • Le lézard à collerette, Chlamydosaurus kingii – Fiche d'élevage

Illustration du titre: Reconstitution du Dilophosaurus par Cheung Chung Tat et photo d'un lézard à collerette actuel, Chlamydosaurus (d'après Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft mbH).

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