Le site d'Angeac, au coeur de la recherche paléontologique française
Suite de l'interview de Ronan Allain, paléontologue spécialiste des dinosaures et chargé de collection au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris:
Avez-vous été voir les fossiles qui viennent d'être découverts à Angeac-Charente?
Oui, on y était samedi dernier [le 2 octobre 2010], avec la conférence de presse. On a fouillé 3 semaines cet été et la moitié des os de dinosaures carnivores sont en face de moi sur mon bureau... Je vais m'occuper de la partie dinosaures carnivores. Ce sera la première fois, je crois, une étude collégiale qui va être faite. Le fémur est vraiment impressionnant par rapport à ce qu'on a déjà vu.
Une étude collégiale, cela veut dire que vous allez vous répartir le travail?
Oui, on va répartir le travail dans différents instituts et différents chercheurs: Jean Le Loeuff à Espéraza va s'occuper des Sauropodes, Eric Buffetaut devrait s'occuper de tout ce qui est Ornithopode, moi je m'occupe des carnivores, Jean-Michel Mazin et Joane Pouech vont s'occuper des micro-restes avec Romain Vullo, Didier Néraudeau va coordonner tout ça et s'occuper de la partie sédimentologie, stratigraphie et taphonomie. Après, les besoins se feront sentir en fonction de ce que l'on va trouver. Les premières publications vont sortir rapidement, surtout ce qui concerne le bois fossilisé puisque Bernard Gomez de Lyon les a déjà étudiés. Edwige Masure de Paris 6 s'est déjà occupée de tout ce qui est micro-restes pour la datation du site, avec David Batten en Angleterre. C'est vraiment un gros projet et j'espère que l'on va réussir à tous bien s'entendre pour que cela avance. Je pense que c'est bien parti. On n'est pas pressés, on a le temps. On part sur un projet d'une dizaine d'années. Donc les choses vont se faire petit à petit. C'est sympathique comme site...
C'est intéressant cette coopération paléontologique française. A cette échelle, il s'agit sans doute d'une première.
Oui, effectivement. Mais il faut voir aussi que dans les labos, on est très peu nombreux. On est tous complètements accaparés par nos recherches. On ne va pas se mettre à 8 sur un seul squelette. Je pense que Jean Le Loeuff est complètement accaparé par l'administration de son musée des dinosaures, il n'a plus tellement le temps de faire de la recherche. Le problème c'est que ses financeurs ne lui demandent pas de faire de la recherche, ils lui demandent de gérer un musée. Donc il faut aussi comprendre cela. Moi j'ai un petit peu quitté la France et je suis plus dans le Jurassique, alors que mes collègues sont plus sur le Crétacé.
Il faut voir que l'on est complètement dépassé par tout ce que l'on a à faire. Et ça ce n'est que la partie recherche. Dans nos instituts, on a également 12 milliards de choses à faire. On aimerait bien recruter des gens aussi. Moi, dans quelques années, je vais être tout seul. Parce que tous mes collègues, au moins en poste officiel (Jean sera toujours à Espéraza), mais Eric Buffetaut, Jean-Michel Mazin... les quelques personnes qui font encore du reptile continental partiront à la retraite. J'aimerais bien que le CNRS recrute des gens. Pour l'instant, le CNRS n'a pas recruté de spécialiste de reptiles depuis plus de 20 ans. C'est un constat, c'est triste. Et cela explique que je me sente un petit peu tout seul de temps en temps. Donc c'est assez sympa d'avoir ce projet, coordonné par Didier Néraudeau, qui m'avait déjà mis le pied à l'étrier après la thèse et qui est un ami aussi. Cela permet de voir tout le monde et de se dire que finalement, si on travaille tous ensemble, l'étude du site ira un peu plus vite.
Ce qui est important dans cette étude, c'est qu'elle va donc constituer une sorte de vitrine de la paléontologie et montrer que l'on réalise encore plein de découvertes, y compris en France.
Tout à fait, on trouve encore aujourd'hui. Si vous voyez ce que j'ai dans mes réserves... Dans les collections du muséum, déjà il y a pas mal de truc. En ce qui concerne les découvertes que j'ai faites dans les deux dernières années, j'ai découvert des squelettes quasi complets qui m'attendent... C'est à l'étranger, mais c'est des trucs de malade... Le problème, c'est qu'il faut gérer tous ces projets-là. Et il ne faut pas gérer que la partie scientifique, il faut gérer aussi la partie administrative, avec tout ce que cela implique derrière. Il faut aller chercher l'argent soi-même. Ce n'est pas avec ce que l'on nous donne que l'on peut travailler... Quand on fait des missions au Laos, au Lesotho ou autre, les sous il faut aller les chercher. Cela prend énormément de temps et c'est vrai que l'on aimerait avoir un petit peu d'aide.
Les étudiants, c'est une chose, mais il ne suffit pas de leur proposer un sujet, il faut aussi pouvoir leur proposer un avenir. Malheureusement, c'est un peu compliqué actuellement. J'ai un étudiant qui fait autre chose, de la modélisation en 3D sur l'oreille interne des dinosaures et qui essaye de voir ce qu'il se passe à la limite dinosaures-oiseaux. C'est intéressant. Lui, c'est bien puisqu'il aura une passerelle pour faire de la géologie si vraiment il ne trouve rien en paléontologie. Mais prendre ainsi un étudiant et lui dire: « Voilà, tu vas travailler sur tel dinosaure et faire un sujet de systématique », je pourrais le faire, mais le problème c'est que derrière, il n'y a pas énormément de boulot. C'est un problème, il faut que les gens le sachent. Ce n'est pas qu'on ne veuille pas les prendre, c'est qu'il faut vraiment que l'on ait des sujets qui soient porteurs pour que ça marche. Là avec Angeac, je pense qu'une des choses que l'on a derrière tous en tête sur le projet, c'est peut-être de mettre rapidement un étudiant en thèse, parce qu'il y a vraiment un bon projet et pas mal de choses à faire.
Un peu comme Joane Pouech avec le gisement de Cherves...
Voilà. Mais on ne sait pas quoi. Est-ce que ce sera l'étude d'un animal précis ou est-ce que ce sera quelque chose de plus large? On ne sait pas encore. Mais c'est une chose sur laquelle on va réfléchir très rapidement puisqu'il faut qu'on fasse des demandes de financement avant la fin de l'année.
Les demandes de financement, c'est au niveau du CNRS que cela se joue?
Oui, au niveau CNRS, puisque le CNRS a mis en quelque sorte une option sur le site. Il s'intéresse beaucoup au site d'Angeac. Donc j'espère que cela ne sera pas juste pour la vitrine médiatique. Ils ont déjà donné de l'argent pour les fouilles de cette année. On voit déjà une implication du CNRS, c'est vraiment très bien. J'espère qu'on saura, nous, montrer que ce site est important et essayer d'avoir des financements à travers différents programmes du CNRS et puis peut-être avoir une bourse de thèse dans les années à venir, qui permettra de mettre le pied à l'étrier à quelqu'un.
Cela permettrait de relancer les choses. Il faut voir tout ce qui s'est passé en Charente depuis une dizaine d'années... En 1995, on ne connaissait quasiment pas un seul dinosaure en Charente. Je schématise un peu. Les travaux entrepris par Didier Néraudeau d'une part dans le Cénomanien, par Jean-Michel Mazin d'autre part à Cherves ont montré qu'il y avait des vertébrés continentaux en Charente et qu'il y avait même des trucs qui étaient plutôt pas mal. On avait surtout des sites à micro-restes, maintenant on a des sites à macro-restes. Il faut réfléchir sur cette dynamique, comme quoi la Charente est peut-être un nouveau territoire qui est terra inconita pour trouver du gros dinosaure.