Les dinosaures, la science et le grand public

Suite de l'interview de Ronan Allain, paléontologue spécialiste des dinosaures et chargé de collection au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris:

 

Entrée du Palais de la Découverte (exposition Le festin des dinosaures, 2005)

C'est vrai que pour le grand public, on sent qu'il y a un attrait pour tout ce qui est nouveau et sensationnel, notamment les dinosaures. Et en dehors de ce sensationnel, point de salut. Est-ce que vous le ressentez dans votre travail de tous les jours?

Cela ne se ressent pas pareil partout. Je pense que les choses sont en train énormément d'évoluer. Au niveau des idées, ça se fait avec le temps. Pour la nouvelle génération qui arrive, le fait que vous qui fassiez un site internet, il y a déjà pas mal de gens qui passent sur le site. Il y a pas mal de jeunes qui s'intéressent aux dinos et qui tournent autour. La nouvelle génération n'a pas de problème avec certains concepts que l'ancienne génération a du mal à admettre. Quand je dis que les oiseaux sont des dinosaures, mon fils de 6 ans peut vous le dire. Il le dit à sa maîtresse et ça ne lui pose pas de problème. Et je l'ai appris à sa classe de maternelle. Une fois qu'on leur a expliqué pourquoi: les oiseaux sont des dinosaures, ok. Il suffit de le dire. Dire ça à une personne qui a plus de 40 ans, la personne répond que ce n'est pas possible. On a beau leur démontrer, à la fin, ils sont toujours sceptiques. Donc là je pense qu'il y a un changement qui est en train de se faire.

Les dinosaures Archaeopteryx et Compsognathus (illustration: Alain Bénéteau)

Les changements des sciences se font aussi au niveau méthodologique. Tout ce qui est systématique, phylogénétique et cladistique, donc la classification telle qu'on l'appréhende maintenant a énormément changé. Et cette classification, cette façon que l'on a de classifier est enseignée maintenant au collège. Donc cela change énormément. Les idées changent, les découvertes sont toujours là et on essaye de donner aux gens une autre vision des dinosaures. Alors évidemment, on est constamment parasité par les découvertes et par les médias. Cela fait partie du jeu, c'est le bling-bling scientifique et médiatique. Les journalistes, dès qu'il y a un truc qui sort dans Nature, il y a 75 coups de téléphone pour vous demander ce que vous en pensez. Du coup, les scientifiques vendent des trucs qui sont de temps en temps un petit peu éloigné de la science. Dans un article, ce qui ressort, ce n'est pas souvent ce qui est le plus important dans l'article. Après, il y a des cultures différentes selon les pays. Les gens ont l'impression qu'il y a 75 personnes qui travaillent sur les dinosaures. On est très éloigné de la réalité. La réalité médiatique et la réalité scientifique n'ont rien à voir. Ce serait sympa qu'il y ait un peu plus de monde sur les dinosaures et sur les autres groupes aussi.

Les gens ne se rendent pas compte ce que c'est, et c'est vrai que c'est surmédiatisé. Peut-être surmédiatisé, ça devrait être médiatisé un petit peu moins. Et ensuite, il y a toute l'industrie de l'édition, du cinéma, des images de synthèse qui est derrière et qui n'arrêtent pas parce qu'il y a de l'argent à faire, tout simplement.

Reconstitution de l'impact de l'astéroïde il y a 65 MA (série Sur la Terre des Dinosaures de la BBC)

Nous, on n'est pas assez nombreux, malheureusement pour pouvoir faire les choses. De temps en temps, on a des projets intéressants, c'est pour ça qu'on communique aussi. On nous dit: C'est sympa de passer à la télé et tout ça. Mais si on le fait, ce n'est pas pour nous. Moi, ça ne m'apporte rien de faire 15 000 interviews, ça ne me rapporte pas plus d'argent. Cela m'apporte de la notoriété. Mais c'est bon, une fois qu'on l'a eu une fois, à quoi ça sert? A pas grand-chose. Ce n'est pas là-dessus que je suis évalué, c'est sur mes recherches. Et mes recherches, quand je réponds aux journalistes, ça ne me rapporte rien. Quand je fais ça, c'est quasiment bénévole. Mais en même temps, il faut le faire, pour empêcher les gens qui n'y connaissent rien de raconter n'importe quoi. C'est un travail pédagogique.

Récemment, les médias ont mis en avant l'avancée du créationnisme en Europe. Est-ce que vous avez déjà eu des pressions créationnistes?

Non, on est un petit peu moins en but à se genre de choses en France. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Il y a des gens qui s'occupent de cela en France très bien. Je pense que Guillaume Lecointre veille au grain. On est tous conscients de cela. On sait que ça existe, mais on n'a pas trop d'interférence par rapport à cela. On a la chance d'être dans un pays qui est laïque, mine de rien, malgré tout ce que l'on en dit au niveau de l'actualité. Je pense que c'est quelque chose qui est bien ancré. En plus, il y a beaucoup de gens qui sont croyants et qui sont paléontologues et qui croient en ce qu'a dit Darwin. On n'est pas dans des extrêmes comme on peut y être dans des pays comme les Etats-Unis ou les pays de confession islamique. On n'a pas ces problèmes-là en France, on les a moins. Mais il faut rester très vigilants et ne surtout pas laisser des choses comme cela s'installer. On a moins de problèmes qu'ailleurs. Nous n'avons pas de pression directement, mais on veille au grain.

Aperçu de la célèbre Grande galerie de l'évolution du muséum de Paris

 

Dossier sur Ronan Allain