Apatosaurus
lézard trompeur
Classification | SaurischiensDiplodocidés |
Epoque | Jurassique sup. (155-145 Ma.) |
Taille adulte | 21 à 26 m long |
Poids | 30 à 35 tonnes |
Répartition | Etats-Unis |
Régime alimentaire |
Herbivore |
Date de sa découverte | 1877 (Arthur Lakes) |
Vue d'artiste d'Apatosaurus en train de brouter.
Apatosaurus (ou Apatosaure
) appartient aux Sauropodes, les plus grands animaux qui aient jamais existé sur Terre. Il en possède la morphologie type, ressemblant à un éléphant doté d'un cou et d'une queue très longs: le corps massif contenant les énormes viscères; des pieds larges avec des doigts inclus dans des coussinets cornés comme ceux des éléphants; une queue longue, qui devient fine comme un fouet à l'extrémité et enfin un très long cou. Bref, Apatosaurus, c'est l'image-type du grand dinosaure herbivore placide. La vitesse de marche des sauropodes comme Apatosaurus a d'ailleurs été estimée entre 3,5 et 7 km/h à partir d'empreintes fossilisées. Par rapport au célèbre Diplodocus, Apatosaurus était plus trapu, plus massif et moins long.
Ci-dessus: Apatosaurus vu par Raul Martin.
Reconstitution du squelette d'Apatosaurus ajax (environ 17 mètres de long), par Scott Hartman.
L'étude des os d'Apatosaurus, donc de son histologie osseuse a apporté de nombreuses informations. Tout d'abord, la structure osseuse d'Apatosaurus confirme un métabolisme élevé, que l'on ne retrouve aujourd'hui que chez les mammifères et les oiseaux. De plus, les os d'Apatosaurus ne montrent pas d'arrêt saisonnier de la croissance: les jeunes dinosaures, dès leur sortie de l'œuf, grandissent en général pendant une période de l'année, puis leur croissance ralentit pendant la saison plus difficile. Alors que chez les sauropodes comme Apatosaurus, la croissance se poursuit en permanence et à une vitesse très élevée parmi les dinosaures, ce qui est nécessaire pour atteindre de telles dimensions. Les œufs de sauropodes sont certes les plus grands du monde animal (environ 2 fois ceux des autruches actuelles), mais les embryons ne mesurent guère plus de 30 à 50 cm maximum. Après éclosion, les bébés sauropodes vont donc devoir multiplier leur taille par près de 100 pour atteindre leur taille adulte...
Par contre, l'absence de stries de croissance dans certains os d'Apatosaurus ne permet pas donner un âge précis à ses différents fossiles. Résultat: selon certaines études, en fonction des méthodes et des os analysés, Apatosaurus attendrait sa taille adulte vers l'âge de 15 ans (Curry, 1999), soit une croissance moyenne de 2 tonnes par an, alors que pour d'autres études (Lehman et Woodward, 2008), Apatosaurus attendrait sa taille adulte vers 70 ans, soit une croissance moyenne de 520 kg par an. Quoiqu'il en soit, la croissance rapide d'Apatosaurus est très inférieure à celle des Titanosaures, qui constituent le record chez les dinosaures.
Le métabolisme d'animaux aussi gros qu'Apatosaurus est forcément particulier, n'ayant pas d'équivalent dans le monde actuel. Pendant de nombreuses années, le débat sur le métabolisme des dinosaures concernait leur température interne: étaient-ils à sang chaud
comme les oiseaux qui sont leurs descendants ou à sang froid
comme les reptiles dont ils sont issus? Très vite a émergé l'idée que les sauropodes devaient maintenir une température assez élevée, un mécanisme appelé gigantothermie. En effet, les sauropodes comme Apatosaurus ont de par leurs mensurations un volume corporel proportionnellement bien supérieur à celui des animaux plus petits, ils perdent donc moins leur chaleur, contrairement aux souris par exemple, qui doivent dépenser en permanence une énergie considérable pour se réchauffer. La gigantothermie a été démontrée en 2011 chez 2 autres sauropodes, Brachiosaurus et Camarasaurus (Eagle et al.).
Illustration: Anness Publishing / NHMPL.
Pour nourrir son énorme corps, l'Apatosaurus devait ainsi manger toute la journée. L'étude des micro-usures de ses dents montre que comme Diplodocus et Nigersaurus, Apatosaurus se nourrissait d'une grande diversité de végétaux pas trop coriaces (plantes, fougères...), une alimentation au niveau du sol ou assez proche (Whitlock, 2011). Une sorte de grosse vache, mais qui avalerait d'énormes quantités de nourriture tous les jours, entière, sans mâcher et sans ruminer. Comme de nombreux autres grands dinosaures herbivores, il avalait sans doute avec sa nourriture des pierres, qui pouvaient aider au broyage de ses aliments dans son estomac (gastrolithes
).
Les nombreuses petites vertèbres à l'extrémité de la queue sont comme un fouet, les Apatosaurus devaient donc sans doute pouvoir faire claquer leur queue (l'extrémité pouvait dépasser le mur du son, donc provoquer un claquement), soit pour repousser les prédateurs (Allosaurus, Ceratosaurus...), soit pour communiquer entre eux.
La taille du génome des dinosaures a pu être estimée à partir de la taille de leurs cellules osseuses (lacunes dans les os fossiles, correspondant aux ostéocytes). Ainsi, Apatosaurus aurait par exemple un génome de la même taille qu'un petit oiseau primitif, Confuciusornis. Cela montre que la taille du matériel génétique n'est pas proportionnelle à la taille du corps et que les oiseaux ont hérité leur petit génome de leurs ancêtres, parmi les dinosaures (Organ et al., 2007 et 2009).
Le genre Apatosaurus comprend potentiellement 3 espèces valides: A. ajax (décrite par Marsh en 1877), A. excelsus (décrite par Marsh en 1879) et A.louisae (Holland, 1915).
Les autres espèces ont été renommées: A. alenquerensis = Lourinhasaurus alenquerensis; A. grandis = Camarasaurus grandis; A. yahnahpin = Eobrontosaurus yahnahpin.
L'histoire de la découverte paléontologique d'Apatosaurus est pleine de rebondissements, qui expliquent qu'aujourd'hui encore, ce genre est particulièrement discuté et remis en question avec de nouvelles découvertes. La première description d'Apatosaurus remonte à 1877, avec le paléontologue Othniel Charles Marsh, qui baptisera la nouvelle espèce Apatosaurus ajax dans un court article où il estimera la longueur de l'animal à 15 mètres et en complétera sa description en 1879. L'holotype, c'est-à-dire le spécimen servant de référence à Apatosaurus ajax est alors un sacrum (n° d'inventaire YPM 1860). Mais en 1879, Marsh publie un autre bref article où il pense avoir retrouvé des restes d'un autre sauropode gigantesque (20 à 25 mètres de long selon ses estimations), qu'il baptise Brontosaurus excelsus. Ces nouveaux restes étant particulièrement impressionnants, la nouvelle commence à faire le tour du monde et le nom de Brontosaure (signifiant littéralement lézard tonnerre
) remporte un franc succès auprès du public. Une compagnie pétrolière en fait même son logo. Un succès pour Marsh dans sa compétition avec le paléontologue Edward Drinker Cope dans leur guerre des os
, compétition dans laquelle ils se sont lancés et où il fallait découvrir le plus rapidement le plus de restes d'espèces disparues et le plus impressionnants.
Reconstitution moderne du squelette d'Apatosaurus excelsus (environ 20 mètres de long), par Scott Hartman.
Il faut dire que les découvertes s'accumulent, comme en 1898 dans le Wyoming, où de nouveaux squelettes de "Brontosaure" sont mis à jour. Les parties manquantes sont prises d'autres individus ou reconstituées et un squelette complet est finalement monté et exposé en février 1905 à l'American Museum of Natural History (comprenant le squelette AMNH 460, complet à 30-40%), sous le nom de Brontosaurus excelsus. Le 1er squelette (le type) de "Brontosaurus" excelsus est quant à lui exposé au Yale Peabody Museum of Natural History (New Haven, Etats-Unis) depuis 1931 (YPM 1980: original à 50-60%), après 6 années de travail. En 1905, c'était en tout cas la première fois au monde qu'un squelette de sauropode complet était présenté au public. Le succès est immense et "Brontosaurus" devient pour le grand public l'image du gros dinosaure herbivore disparu. D'ailleurs, à cette époque, les sauropodes étaient vus comme tellement grands que l'on s'imaginait qu'ils vivaient la plupart du temps dans l'eau, pour leur permettre de supporter leur poids. Une sorte de monstre du Loch Ness, conception totalement remise en cause aujourd'hui, tout comme la posture dans laquelle "Brontosaurus" a été exposé à l'époque. En effet, le squelette étant incomplet, il n'y avait pas encore d'autres dinosaures montés pour servir de modèle. Les équipes de l'AMNH ont eu beaucoup de peine à positionner les os des pattes et se sont aidés de dissections d'alligators et d'autres reptiles, alors que l'on sait actuellement que la position des membres des dinosaures n'a justement rien à voir avec leur position chez les reptiles actuels... De plus, les parties manquantes ont été reconstituées à partir du dinosaure Camarasaurus (dont plusieurs espèces venaient d'être décrites par Cope et Marsh), qui était considéré être le plus proche à l'époque. L'animal exposé était finalement une grossière chimère.
Ci-dessus: "Brontosaurus" exposé en 1905 à l'AMNH, avec une tête de Camarasaurus (image libre de droit)
Le squelette exposé en 1905 provient d'un individu incomplet, dont voici la reconstitution de l'époque (les os retrouvés sont en foncé). (image libre de droit)
Illustration réalisée par Charles R. Knight sur les indications d'Osborn, montrant la représentation que l'on se faisait au début du 20e siècle du sauropode "Brontosaurus", considéré alors comme un animal amphibie. (image libre de droit)
Mais un réexamen des fossiles de "Brontosaurus" par le paléontologue Elmer Riggs, du Field Museum de Chicago en 1903 démontre que Apatosaurus et "Brontosaurus" appartiennent au même genre de dinosaure. Marsh avait reconnu la proximité entre Apatosaurus et "Brontosaurus" et les avait placés dans la même famille. Mais comme Apatosaurus n'avait que 3 vertèbres soudées à son sacrum et que "Brontosaurus" en possédait 5, Marsh leur avait donné deux noms de genre différents. Riggs s'était rendu compte que ce qui était décrit sous le nom de Apatosaurus ajax ne correspondait en fait qu'à une version juvénile de "Brontosaurus". En effet, le nombre de vertèbres fusionnées dans le sacrum est proportionnel à l'âge: lorsqu'un individu devient plus âgé, 2 vertèbres supplémentaires viennent se fusionner aux 3 autres vertèbres sacrées... Du coup, selon les règles de l'ICZN (l'organisme qui régit la nomenclature internationale, c'est-à-dire la façon dont sont nommés les animaux), comme c'est l'Apatosaurus qui a été décrit en premier, c'est lui qui a la priorité du nom sur "Brontosaurus". Dès 1903, "Brontosaurus" excelsus a donc été renommé en Apatosaurus excelsus, il en est devenu son synonyme. Seul le squelette exposé au Yale Peabody Museum of Natural History a pu conserver son nom de Brontosaurus, pour des raisons historiques. Pourtant, pendant plusieurs dizaines d'années le nom de "Brontosaure", bien plus célèbre que Apatosaurus a continué à être utilisé par le grand public, d'autant plus que certains paléontologues n'ont pas accepté les conclusions de Riggs. Les services postaux des Etats-Unis ont même émis un timbre avec le nom de "Brontosaurus" en 1989.
Comparaison du sacrum d'Apatosaurus (Brontosaurus) excelsus (YPM 1980, à gauche) et d'Apatosaurus ajax (YPM 1860, à droite), d'après Ostrom & McIntosh (1966). Source.
Un autre épisode a eu lieu avec la poursuite des découvertes. En 1909, en effet, dans la carrière appelée Carnegie Quarry, dans l'Utah, le squelette le plus complet d'Apatosaurus pour l'époque est mis à jour. Il sera décrit et nommé officiellement Apatosaurus louisae en 1915. Un crâne sera exhumé au même endroit en 1910 (n° d'inventaire: CM 11162), mais n'a donc pas été retrouvé en connexion avec le reste du corps, semant le doute chez les paléontologues: appartenait-il au squelette d'Apatosaurus louisae? Dans le doute, le squelette est préparé et monté au Carnegie Museum of Natural History en 1915, mais sans la tête. Le crâne d'Apatosaurus louisae fait débat: faut-il mettre celui trouvé en 1910, faire une copie de l'Apatosaurus excelsus exposé à l'AMNH ou attendre de nouvelles découvertes? Le problème du crâne CM 11162 trouvé en 1910 est qu'il ne correspond pas du tout au crâne qui a servi pour le squelette de l'American Museum. Celui-ci avait été copié à partir du crâne d'un Camarasaurus, selon les convictions de l'époque. Or contrairement au crâne massif, court de Camarasaurus, CM 11162 est allongé et fin, ressemblant à celui d'un Diplodocus. Comment un crâne aussi délicat et avec des dents aussi fines pourrait-il nourrir un animal aussi imposant qu'Apatosaurus? En 1936, après le décès de Holland, directeur du Carnegie Museum ayant décrit Apatosaurus louisae, un moulage de crâne de Camarasaurus est placé sur le squelette sans tête. Marsh avait trouvé dans une carrière proche de celle du Brontosaure original, des fragments de mâchoire qu'il avait également attribué à "Brontosaurus", avec des dents semblables à celles de Camarasaurus. La tête de Camarasaurus a donc fait affaire pendant plusieurs dizaines d'années.
Reconstitution moderne du squelette d'Apatosaurus louisae (environ 22 mètres de long), par Scott Hartman.
L'histoire en resta là, jusque dans les années 1970, lorsque le Dr John McIntosh, paléontologue spécialiste mondial des dinosaures sauropodes, réexamina toute l'affaire et en arriva à la conclusion que le crâne CM 11162 était en fait le crâne correct d'Apatosaurus. Il publia en 1978 avec David Berman, paléontologue au Carnegie Museum, un article détaillé expliquant ses preuves: Apatosaurus avait bien un crâne ressemblant à celui du Diplodocus et tout son squelette post-crânien était bien plus proche de Diplodocus que de Camarasaurus. Ces arguments ont fait consensus au sein de la communauté scientifique. Ainsi, le 20 octobre 1979 est organisée une cérémonie au Carnegie Museum of Natural History, pour remplacer le crâne erroné par un moulage de CM 11162 et mettre officiellement fin à une controverse vieille de près d'un siècle. Tous les musées du monde entier qui avaient un squelette d'Apatosaurus en exposition ont alors dû faire de même. L'American Museum le fit en 1992 et en profita pour démonter et remonter de manière moderne son Apatosaurus excelsus, en corrigeant les erreurs (queue qui traînait au sol, vertèbres erronées).
Squelette d'Apatosaurus louisae exposé aujourd'hui au Carnegie Museum, avec le crâne correct (CM 11162). Photo: CMNH; Dessin: Davide Bonadonna
Une confirmation arriva en 1995, grâce à des fouilles dirigées par Hans-Jakob (surnommé Kirby
) Siber, directeur du Saurier Museum d'Aathal, en Suisse. Cette année-là, ses prospections sur le site de Howe Ranch ont mis à jour un squelette quasi complet d'Apatosaurus, surnommé Max
et comprenant le crâne semblable à celui d'un Diplodocus...
Crâne de l'Apatosaurus
Max, exposé au Saurier Museum d'Aathal, en Suisse. C'est l'un des rares squelettes d'Apatosaurus retrouvés avec le crâne associé.
Maxétait un juvénile, de 18 mètres de long. Photo: Arnaud Salomé.
Cependant, la découverte de nombreux fossiles quasi complets de Diplodocidés et en connexion, sur le site de Dana Quarry (dont plusieurs squelettes nommés provisoirement Amphicoelias "brontodiplodocus") soulève de nouvelles questions. Galiano et Albersdörfer (2010) proposent d'une part de considérer A. ajax comme un nomen dubium étant donné les restes trop fragmentaires et nécessitant un réexamen. D'autre part, ils considèrent 8 dinosaures, notamment Apatosaurus et Supersaurus, ainsi que Diplodocus et Barosaurus comme synonymes d'Amphicoelias. Enfin, ils voient en Apatosaurus et Diplodocus deux exemples de dimorphisme sexuel d'un même animal, Amphicoelias: Apatosaurus, plus lourd et de forme plus massive, serait le mâle, alors que le Diplodocus, de forme plus légère, plus gracile, serait la femelle. Ils font remarquer d'ailleurs que dans quasiment tous les gisements fossilifères contenant des restes de Diplodocus, on retouvre systématiquement Apatosaurus, et vice versa. De plus, comme on trouve plus de restes de Diplodocus que d'Apatosaurus dans les carrières, cela montrerait que les femelles vivraient en troupeaux et que les mâles auraient une existence solitaire... Ces questions restent en suspens puisque l'article n'a pas été publié de manière officielle dans une revue scientifique et que ces affirmations nécessitent confirmation. Enfin, les squelettes du site de Dana Quarry sont à vendre (notamment aux enchères), il y a donc tout intérêt à faire du sensationnel pour faire monter les prix...