Les ostéodermes des titanosaures de Lo Hueco

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Vidal D, Ortega F, Sanz JL (2014) Titanosaur Osteoderms from the Upper Cretaceous of Lo Hueco (Spain) and Their Implications on the Armor of Laurasian Titanosaurs. PLoS ONE 9(8): e102488. doi:10.1371/journal.pone.0102488

Un nouvel article sur les titanosaures de Lo Hueco est consacré à leurs ostéodermes, ces grosses plaques d'os qui devaient recouvrir le dos de ces sauropodes. Toutefois, le nombre et la disposition exacte de ces ostéodermes sur le corps de ces dinosaures demeurent inconnus. La raison est que du vivant de l'animal, ces plaques d'os étaient seulement insérées dans la peau et non rattachées au squelette. De sorte qu'après la mort de ces animaux, les ostéodermes devaient se détacher rapidement du corps lors de la décomposition du cadavre. C'est pour cela qu'il s'agit de fossiles rares, et qu'ils sont toujours retrouvés isolément ou parfois mélangés aux ossements de ces sauropodes. Tous les ostéodermes de titanosaures découverts en Europe appartiennent au morphotype "bulbe et racine". La morphologie du "bulbe" va de concave à fortement convexe (jusqu'à former une épine), tandis que la "racine" peut être très courte ou au contraire extraordinairement allongée. "Bulbe" et "racine" sont séparés par un cingulum. Le site de Lo Hueco est celui ayant livré le plus grand nombre d'ostéodermes de titanosaures au monde (près d'une vingtaine sur la centaine de spécimens connus dans le monde). Ils présentent une grande diversité de formes, et si la plupart ont été retrouvés isolés, deux ont été découverts associés à un squelette partiel articulé. Ces deux ostéodermes reposaient à proximités des vertèbres dorsales de ce squelette articulé, lequel se trouvait à l'écart des autres. Ce qui laisse à penser que ces deux plaques appartenaient à un même individu. Ce qui est intéressant c'est que ces deux plaques appartiennent aux deux extrêmes morphologiques présents sur le site. Ce qui suggère que la variabilité intra spécifique des plaques dermiques (dans la forme et la taille) des titanosaures était comparable à ce que l'on observe avec les plaques et les épines des stégosaures par exemple. Par contre on ne connaît toujours pas la disposition exacte de ces éléments. Vu la rareté des ostéodermes parmi les restes de titanosaures, on part du principe que ces sauropodes n'étaient que légèrement cuirassés. Les auteurs proposent donc comme hypothèse la plus conservatrice, l'existence de deux rangées paramédianes d'ostéodermes (dont la forme varie le long de la série craniocaudale) comme chez les stégosaures. Ils estiment également possible l'existence de plus de deux rangées de plaques, mais cela implique un plus grand nombre d'ostéodermes par individu (ce qui sous-entend : pourquoi on n'en a pas trouvé davantage sur le site vu le nombre de squelettes articulés ?).

Ailleurs sur le web, les auteurs présentent une reconstitution spéculative de la disposition des ostéodermes en deux rangées d'un de ces titanosaures. Les plaques les plus plates et les plus circulaires sont placés sur le dos de l'animal, alors que deux types d'épines ornent la queue de ces sauropodes. Les ostéodermes pourvus d'une épine osseuse sont placées sur le bassin et la partie antérieure de la queue (ce type d'ostéoderme étaient placé sur les épaules sur les précédentes reconstitutions, telle celles d'Ampelosaurus). Des épines plus longues, entièrement en kératine, sont placées sur le reste de la queue. Ces dernières devaient s'ancrer sur le bulbe concave des ostéodermes aux racines extraordinairement allongées (ce type d'ostéodermes n'est pour l'instant connu qu'à Lo Hueco). Sur ces ostéodermes très particuliers, la texture de la surface du bulbe concave est similaire à ce que montre la zone d'insertion de la corne des rhinocéros. De plus, ces ostéodermes possèdent un cingulum beaucoup plus développée (par rapport à la taille du bulbe) que ceux des autres ostéodermes. Donc, les auteurs estiment qu'il est possible que ce cingulum très épais pouvait servir d'ancrage à une épine entièrement constituée de kératine. Les très longues racines de ces ostéodermes faisaient contrepoids avec les longues épines en kératines. Ces dernières allégeaient un peu le poids de cet attirail (par rapport à une épine de même taille au c½ur osseux) et permettait ainsi une meilleure manoeuvrabilité de la queue de ce dinosaure lorsque celui-ci la balançait vers un prédateur.


Quelques ostéodermes de titanosaures de Lo Hueco. Variations au sein du morphotype "bulbe et racine".


Reconstitution spéculative de la disposition des ostéodermes chez un titanosaure de Lo Hueco. Une des principales différences avec les reconstitutions anciennes est la présence de piquants osseux et non osseux sur la queue. Si leur queue était hérissée d'épines, alors ces sauropodes devaient être des adversaires bien plus redoutables qu'on ne le pensait pour les prédateurs comme les abélisauridés.
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Edité le 16/08/2014 à 17:08 par croc en stock

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En plus des 18 ostéodermes de Lo Hueco (dont sept sont complets), le registre fossile européen comprends deux spécimens fragmentaires de Laño et cinq autres également fragmentaires d'Armuña en Espagne, un spécimen complet de Roumanie, et au moins huit spécimens complets du sud de la France. Sept d'entre eux viennent du Languedoc (quatre sur le site de Bellevue à Campagne-sur-Aude et attribués à Ampelosaurus atacis ; trois autres sur le site de Massecaps à Cruzy et qui appartiennent sans doute au nouveau genre qui est en cours de description), le huitième vient de Provence (Vitrolles). Un possible second spécimen provençal (non mentionné dans l'article de Vidal et al.) a également été trouvé sur le site de Jas Neuf Sud à Pourrières.

Le morphotype "bulbe et racine", le plus répandu dans le temps et l'espace, est apparemment considéré comme primitif chez les titanosaures. Le morphotype "plaque" (tel celui des Saltasaurinae) n'est lui pour l'instant connu que dans les régions gondwaniennes.

Il y a encore beaucoup de mystères sur l'anatomie de ces sauropodes (par exemple avaient-ils des ostéodermes sur le cou ? Tous les titanosaures en étaient-ils pourvus?), et on peut toujours rêver de la découverte d'un titanosaure conservant ses ostéodermes en position anatomique. Mais ce qui est sûr maintenant c'est que leur apparence étaient sans doute plus étonnante et extraordinaire que ce que l'on supposait jusque là.


Quelques ostéodermes de titanosaures du Crétacé supérieur d'Europe (b = bulbe, c = cingulum, r = racine).

Espagne : Fuentes (site de Lo Hueco)



France : Cruzy (site de Massecaps)




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France : Campagne-sur-Aude (site de Bellevue)





Espagne : Fuentes (site de Lo Hueco)





France : Campagne-sur-Aude (site de Bellevue)




Roumanie : Sînpetru (site de La Cãrare)

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Merci pour cette synthèse d'actualité.

C'est vrai que ce sont des os qui ne ressemblent à rien. Si ça se trouve, il y en a plein qui dorment dans les musées, en attendant d'être reconnus...

Au fait, est-ce qu'on a déjà découvert des empreintes de peau de sauropode et de titanosaure?

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Des empreintes de peau sont connus pour le Tehuelchesaurus du Jurassique supérieur d'Argentine, d'autres en Angleterre (attribuée au Pelorosaurus), et dans le Jurassique supérieur des USA (avec entre autre les fameuses épines de kératines ornant le dos des Diplodocidae). Pour les titanosaures il y a les empreintes de peau des embryons d'Auca Mahuevo. Mais je ne crois pas que l'on en possède provenant d'adultes. On peut trouver toutes les références sur ces spécimens dans l'article sur la peau du Tehuelchesaurus : Tehuelchesaurus skin impression

Pour la Chine on a également des empreintes de peau du Mamenchisaurus youngi.

Ici une empreinte de peau attribué au Pelorosaurus :


Une autre vue du même spécimen :
http://www.miketaylor.org.uk/tmp/pelorosaurus-becklesii-skin.jpeg


Pour en revenir aux ostéodermes des titanosaures, effectivement il doit y en avoir un certain nombre qui dorment en collections attendant qu'on les reconnaisse. Certains ont déjà été ré-identifiés. Ce fut le cas des spécimens de Madagascar, mais aussi d'un spécimen incomplet de Rennes-le-Château dans l'Aude (très similaire à la grande épine d'Ampelosaurus mais dépourvu de la racine), qui fut d'abord attribué à un ankylosaure. C'est aussi le cas du premier ostéoderme de titanosaure signalé en Inde par D'Emic et al. en 2009, pour un exemplaire découvert en 1922. Dans cet article, ces auteurs considèrent que les titanosaures porteurs d'ostéodermes étaient des sauropodes de taille relativement modeste, plus petits que les espèces supposées être dépourvues de telles plaques. La seule exception étant pour eux, le propriétaire de cet ostéoderme indien, probablement l'un des deux titanosaures actuellement connus dans cette région, Isisaurus et Jainosaurus, deux genres atteignant au moins 18 m de long. Mais en fait il est clair que des titanosaures de grandes tailles pouvaient aussi avoir des ostéodermes. On en a trouvés associés à plusieurs squelettes du titanosaure argentin Mendozasaurus. La taille des propriétaires de ces plaques est estimée à environ 18 m de long ce qui est déjà pas mal. Bizarrement, l'article de D'Emic et al. ne place pas Mendozasaurus parmi les grands titanosaures alors qu'il était au pire aussi grands que les formes indiennes. Mais surtout on avait déjà signalé la découverte de quelques os d'un spécimen beaucoup plus grand de Mendozasaurus dont la taille est estimée à 27 m de long. On n'a pas trouvé d'ostéodermes avec ce spécimen, mais il n'y a aucune raison de penser que les plus grands individus de l'espèce perdaient soudainement leurs plaques. Mendozasaurus appartient aux Lognkosaures, groupe qui comprends aussi les énormes Futalognkosaurus et Puertasaurus. Il est donc tout à fait possible que des titanosaures de 30 m de long (voire plus) aient également portés des ostéodermes, et on ne manquera pas de s'interroger sur l'utilité de leur présence chez des animaux beaucoup plus grands que les plus gros prédateurs de l'époque.

Concernant les ostéodermes en eux-mêmes, la grande nouveauté, c'est donc que certains d'entre eux soutenaient probablement une épine entièrement kératinisée, et venaient s'ajouter à ceux pourvus d'épines à structure interne osseuse, et ceux aux bulbes aplatis. Comme on peut le voir sur les photos des posts précédents, il semble que certains des ostéodermes français pouvaient eux aussi servir de point d'ancrage à des épines de kératines, cf. le bulbe convexo-concave du second spécimen de Cruzy (et peut être aussi le troisième pourvu d'une base très épaisse), et le second spécimen de Bellevue au bulbe concave. On peut mieux apprécier sa morphologie sur ces illustrations :




Ces spécimens français n'ont pas la racine exceptionnellement allongée des ostéodermes aux bulbes concaves de Lo Hueco, mais ce n'est peut être due qu'à des positions différentes de ces éléments sur le corps de ces sauropodes. À moins qu'il ne s'agisse là de caractères propres à chaque espèce et dont les variations interspécifiques dans la disposition des plaques nous sont encore inconnus. Si la queue de ces titanosaures était effectivement ornée d'ostéodermes, ceux à très longues racines devaient êtres situés sur sa partie médiane. Ces longues racines, occupaient l'espace entre chaque épine de kératine (lesquelles devait être orientées caudolatéralement d'après Vidal et al.), ce qui du coup rigidifiait et rendait inflexible cette partie de la queue. Celle-ci ne devait être flexible qu'à sa base où (en théorie) ne se trouvaient que des ostéodermes à courtes racines et à épines osseuses.

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Une question : si la spéculation des épines se trouvant au niveau de la queue s'avère juste, cela devrait gêner l'animal du fait du poids de ses épines, non ? Il devrait alors avoir de puissant muscle pour soutenir cette armature ?

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Pour les épines osseuses, ça ne devait pas être un problème pour l'animal si elles étaient localisées à la base de la queue où la masse musculaire était plus importante. Si tu veux parler des épines les plus longues, le fait qu'elles ne soient constituées que de kératines, ça les rendaient plus légères qu'un piquant de même taille constitué d'une épine osseuse recouverte d'une fine gaine cornée. C'était aussi un moyen de réduire le poids de l'ensemble ostéoderme + épine, ce qui était particulièrement utile vu la masse que représentait la racine très allongée de ces plaques. Ensuite, parmi les titanosaures de Lo Hueco figurent des spécimens très robustes, et plus grands que ceux trouvés jusqu'à présent en Europe (avec des fémurs de 1,70 m de long, pour des animaux pouvant dépasser les 20 m de long) qui avaient de toute façon la masse musculaire nécessaire pour porter de telles plaques. On ignore aussi l'espacement entre ces plaques allongées. Si elles étaient presque en contact l'une derrière l'autre ça devait rigidifier la zone de la queue où elles se trouvaient. Si l'espacement était plus important, alors la queue devait être plus flexible. Après, bien sûr, selon la région caudale, existaient des plaques a bulbe concave aux proportions différentes, avec des racines plus courtes.

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Nouvelles reconstructions de titanosaures cuirassés incluant les épines osseuses et non osseuses.

Un des titanosaures de Lo Hueco vu par Oscar Sanisidro :



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Malawisaurus cuirassé par Scott Hartman :



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Un des titanosaures de Lo Hueco a fait l'objet d'une présentation lors du 74ème meeting annuel de la Society of Vertebrate Paleontology. Veronica Dièz-Diaz a présentée le spécimen EC1, lequel représente un nouveau taxon encore non nommé. Il fait partie de la vingtaine de spécimens dont les os furent trouvés en connexion anatomique et/ou en étroite association (il est facile de deviner que la faune de ce site va faire l'objet de nombreuses publications). Une analyse phylogénétique préliminaire révèle que ce nouveau titanosaure serait étroitement apparenté aux titanosaures français Ampelosaurus et Atsinganosaurus. Ces trois formes étant des Lithostrothia basaux.

Veronica Dièz-Diaz et son panneau de présentation d'un nouveau titanosaure de Lo Hueco