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Cela fait déjà de nombreuses années que la carrière d'Angeac-Charente livre des fossiles. En effet, la société Audoin y exploite une carrière de graviers calcaires, qui ne sont autres que des alluvions quaternaires déposées par la rivière depuis quelques dizaines de milliers d'années, en fonction du déplacement naturel du lit de la Charente. En creusant, les conducteurs d'engins ont de temps à autre la bonne surprise de remonter des défenses ou des vertèbres de mammouth, ainsi que des silex du Quaternaire. Grâce à une collaboration exemplaire avec Jean-François Tournepiche, conservateur chargé des collections d'archéologie au musée d'Angoulême, les vestiges sont soigneusement répertoriés et préservés.
Deuxième épisode en 2008: l'un des carriers contacte Jean-François Tournepiche, pour la découverte d'un bloc de pierre étrange, bien trop massif pour être un galet transporté par la Charente et au moins 4 fois plus gros qu'une vertèbre de mammouth... Il n'y a que 3 animaux possédant de grosses vertèbres: les mammouths, les baleines et les dinosaures. Contacté par le musée, Didier Néraudeau, paléontologue au laboratoire Géosciences Rennes, reconnaît alors une vertèbre de sauropode, un groupe de dinosaures herbivores géants au long cou et à la longue queue. La vertèbre ainsi qu'un os métacarpien de dinosaure, issu de la même zone, sont alors exposés au musée d'Angoulême. On passe ainsi d'une époque de quelques milliers d'années à environ 100 millions d'années!
Trouvés à Angeac: à gauche, vertèbre de mammouth - à droite, vertèbre de dinosaure. Photo: France 3.
En fait, l'ancienne Charente avait, à l'évidence, érodé une couche à dinosaures beaucoup plus ancienne et remanié les ossements dans ses alluvions. Il restait néanmoins une question: où était le site fossilifère originel?
L'histoire aurait pu en rester là. Mais début 2010, le carrier s'est mis à trouver des os quasi quotidiennement. On n'était donc pas loin de la couche d'origine. A partir de ce moment, tout le monde s'y met, les scientifiques, des amateurs de la région, les carriers et leurs engins, les pompiers de la commune pour pomper l'eau qui inonde le site. Au total sont mis au jour une dizaine d'ossements, dont la moitié d'un fémur de 1 mètre de long. "Une telle concentration de vestiges retrouvés dans un périmètre aussi restreint était forcément le signe qu'ils n'avaient pas été charriés sur une longue distance dans les alluvions de la Charente et que d'autres ossements étaient très certainement encore inclus dans leur couche géologique d'origine", explique le chercheur rennais. Afin d'en avoir le coeur net, Jean-François Tournepiche et Didier Néraudeau décident de pousser plus avant leurs investigations.
Ils demandent alors qu'un sondage soit effectué, c'est-à-dire qu'une excavation profonde de trois à quatre mètres pratiquée dans la couche supérieure d'alluvions, pour tenter d'atteindre une éventuelle couche géologique plus ancienne qui serait située en dessous. Fait exceptionnel, la société Audoin accepte non seulement d'arrêter son chantier pendant deux jours, mais elle place en outre ses engins gratuitement à la disposition des chercheurs. Deux sondages de 2 mètres de profondeur dans l'un des bassins inondés sont effectués. Ils parviennent à atteindre la roche mère, un mélange d'argile et de lignite (une roche sédimentaire composée de restes de plantes fossiles) datant du Crétacé inférieur, donc d'une période comprise entre - 130 et - 110 millions d'années environ.
Le bassin creusé se remplit très vite d'eau à cause de la nappe phréatique et de la proximité de la Charente. Les engins mécaniques fouillent donc à l'aveugle. Pour assécher temporairement le bassin, des pompes sont mises en action. Les parois apparaissent peu à peu.
Les chercheurs découvrent alors de tous côtés, sur 1m 50 d'épaisseur, des ossements de dinosaure en vrac (vertèbres et fémurs de sauropodes, phalanges et dents de dinosaures carnivores), accompagnés de restes de tortues (fragments de carapaces), de crocodiles (dents et vertèbres), de poissons, et de plantes fossilisées en très bon état: morceaux de bois pétrifiés, feuilles de conifères fossilisées, petites "pommes de pin"... Les plus belles pièces retrouvées lors de ces sondages préliminaires sont maintenant entreposées au Musée d'Angoulême en attendant de pouvoir être présentées au public.
Les vertèbres de dinosaures retrouvées dans cette première récolte mesurent 40 centimètres de diamètre, mais elles ne sont pas le plus intéressant: "Etant donné qu'ils ont été enfouis dans les strates géologiques superficielles rabotées peu à peu par les eaux de la Charente, ces vestiges se sont finalement retrouvés dans la couche alluviale, où ils ont été altérés et oxydés, comme en atteste leur couleur rouille caractéristique." Pour des ossements restés intacts, on dispose par exemple du fémur de dinosaure théropode de type Abélisauroïde, de couleur sombre, qui, bien qu'âgé d'une centaine de millions d'années, a conservé l'apparence d'un os frais. "C'est la couche sédimentaire d'argile non altérée par l'érosion qui, en préservant les ossements de l'oxydation, a pu assurer à certains d'entre eux un état de conservation remarquable", précise Didier Néraudeau.
Quelques fossiles retrouvés début 2010 - Photo: TF1-LCI
Dès le début 2010, l'un des points forts du site d'Angeac apparaît: il réunit dans un périmètre très restreint une grande richesse de vestiges de flore et de faune de tailles très variées. Des grains de pollens et des écailles de poissons de quelques millimètres à peine côtoient des morceaux entiers de bois pétrifiés et des fossiles de reptiles de dimensions diverses. De quoi reconstituer l'écosystème charentais de l'époque.
A quoi ressemblait le site il y a des millions d'années? Les premières analyses microscopiques des échantillons sédimentaires ont montré l'absence totale de micro-organismes typiques des écosystèmes marins du Crétacé. Un constat qui marque le caractère très continental du milieu où se sont déposés les différents restes fossiles. Et qui conduit le paléontologue à l'extrapolation suivante: "Il y a 110 millions d'années de cela, en lieu et place de la carrière, nous aurions sans doute pu contempler un paisible paysage aquatique: un lac, un marais ou un bras mort de rivière."
Une hypothèse qu'il va falloir confirmer par l'étude plus poussée des fossiles récupérés, comprendre les conditions de leur mort et de leur fossilisation. La campagne de fouilles fin août 2010 est venue apporter beaucoup d'éléments pour la compréhension du site et son intérêt paléontologique.
Reconstitution du gisement d'Angeac-Charente au Crétacé inférieur - Copyright Mazan
A suivre...
Prochain article: les découvertes de la première campagne de fouilles.
Article publié sur PaleoNews: https://dinonews.net/rubriq/paleonews.php?id=10
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Edité le 31/10/2010 à 18:11 par Webmaster