Rugops
Fiche descriptive
¤ Etymologie du nom: "Visage rugueux"
¤ Position dans la classification: Ceratosauria - Abelisauroidea - Abelisauridae
¤ Eres géologiques: Crétacé supérieur (Cénomanien : ~ 95 millions d’années).
¤ Taille estimée: ~ 5 à 6 m de long (l’unique spécimen connu est toutefois un individu immature).
¤ Poids estimé:
¤ Régime alimentaire: carnivore
¤ Répartition géographique: Formation Echkar, Iguidi (à l’ouest d’In Abangharit), Niger
¤ Découvert en: 2000
Les différentes espèces
- Rugops primus Sereno, P.C. et al., 2004.
L’adjectif spécifique vient du Latin primus, premier, et souligne le fait que Rugops est l’un des plus anciens Abelisauridae montrant des os crâniens à la surface plissée.
Inventaire des fossiles retrouvés
- MNN IGU1Holotype, un crâne incomplet (seul le segment antéorbitaire, le frontal, le pariétal, le prootique et le latérosphénoïde sont connus).
Caractères propres à ce dinosaure
- Rugops primus est un abélisauride basal qui n’est connu que par un crâne incomplet découvert en 2000 par le paléontologue américain Paul Sereno et ses collègues, dans la Formation Echkar au Niger. Il était alors le premier et unique représentant des Abelisauridae découvert sur le continent africain (d’autres ont été découverts par la suite tel Kryptops). Comme chez les autres abélisauridés, le crâne de Rugops est relativement haut et court, et la surface des os est rugueuse. La fenêtre antéorbitaire occupe une bonne partie de la longueur antéorbitaire (85%) comme c'est le cas chez beaucoup d'Abelisauridae. Les nasaux sont triangulaires en vue dorsale et sont percés de 7 petites invaginations. Celles-ci ne semblent pas communiquer entre elles à travers le nasal. En vue dorsale, des sillons nutritifs passent par chaque invagination, et selon Sereno et al. (2004) ces dernières servaient peut être d’ancrage à une structure sensorielle ou des tissus mous impliqués dans une quelconque parade. Contrairement à la plupart des abelisaurides plus tardif, le toit crânien de Rugops n’est pas épaissi, de même que le "sourcil" orbitaire (formé par le lacrymal et le postorbitaire) qui est peu prononcé. Parmi les autres caractéristiques du crâne de Rugops, Sereno et al. (2004), ont mis en avant la présence d’une petite fenêtre (visible en vue dorsale) entre le préfrontal, le frontal, le postorbitaire et le lacrimal. Selon Carrano et al. (2008), cette fenêtre pourrait en fait être un artefact ontogénétique lié à l’immaturité de l’holotype de Rugops. Il est possible que cette fenêtre soit totalement fermée à l’âge adulte, mais pour le vérifier il reste à découvrir le crâne d’un Rugops adulte. On peut noter que l’énorme abélisaure argentin Ekrixinatosaurus possède une petite fenêtre entre le postorbitaire et la bordure antérieure du frontal, et que l’abélisaure français Arcovenator possède lui aussi une petite fenêtre entre le frontal, le postorbitaire et le lacrimal.
Un Rugops marocain ?…
- En 2005, Mahler décrit un maxillaire droit incomplet d’Abelisauridae (UCPC 10) découvert dans les dépôts cénomaniens des Kem Kem Beds au Maroc. Ce maxillaire n’est représenté que par sa moitié antérieure (à laquelle manque le processus ascendant), et celle-ci présente une morphologie similaire à la région correspondante du maxillaire de Rugops primus. Les deux maxillaires diffèrent toutefois en ce que l'échantillon marocain montre davantage de petits trous sur la surface latérale, tandis que le maxillaire de Rugops primus possède des rainures et des sillons latéraux plus prononcés. La zone inférieure de la surface médiale du spécimen marocain montre une série de convexités et n’est que légèrement striée, alors que la surface interne du maxillaire nigérien est plus plate et plus fortement striée. Pour Mahler, comme les différentes espèces d’Abelisauridae semblent montrer de subtiles différences dans l’ornementation du maxillaire, les différences observées entre les maxillaires nigériens et marocains peuvent indiquer qu’ils appartiennent à deux espèces distinctes. Il est intéressant de noter que les faunes cénomaniennes du Maroc et du Niger ont livrées des genres identiques, mais que ceux-ci sont représentés par des espèces différentes dans les deux pays. C’est le cas du théropode Carcharodontosaurus, représenté par C. saharicus au Maroc et C. iguidensis au Niger (Sereno et al., 1996 ; Brusatte et Sereno, 2007) et des crocodyliformes Laganosuchus et Araripesuchus représentés par L. maghrebensis et A. rattoides au Maroc, et L. thaumastos et Araripesuchus sp. n. au Niger, (Sereno et Larsson, 2009). Il est donc tout a fait possible qu’une espèce particulière de Rugops ait été présente au Maroc. Brusatte et Sereno (2007) ont proposés deux possibilités pour expliquer la présence d’espèces distinctes dans le Cénomanien du Maroc et du Niger. La première est qu’une différenciation localisée de la faune pourrait avoir été provoquée par la transgression d’un bras de mer qui aurait fait office de barrière temporaire entre les deux régions. La seconde est que les sites marocains et nigériens ne seraient pas contemporains et représentent deux intervalles de temps distincts à l’intérieur du Cénomanien. Ces auteurs concluent qu’en l’absence de datation radiométrique pour les sites du Crétacé d’Afrique du Nord, il est impossible de trancher en faveur de l’une ou l’autre théorie.
… et sud-américain ?
- Le maxillaire de Rugops ressemble énormément à un maxillaire isolé de plus grande taille (UNPSJB-PV 247) décrit en 2002 par Lamana et al., et qui fut trouvé à Ocho Hermanos en Patagonie argentine (province de Chubut) dans la Formation Bajo Barreal (Membre inférieur), des terrains d’âge similaire à ceux de la Formation Echkar au Niger. De forme similaire, les maxillaires argentin et nigérien présentent quasiment la même ornementation sur la surface de l’os avec une prédominance des sillons par rapport aux petits trous, et une série inhabituelle de sillons courbés sous la fenêtre antéorbitaire. Les détails internes des deux maxillaires correspondent également, tels que la position relativement élevée de la lame dentaire et les fines stries marquant sa surface. Tous ces caractères indiquent que le maxillaire argentin doit appartenir, soit à un genre très étroitement apparenté à Rugops, soit à un spécimen sud-américain du genre Rugops (qui n’appartiendrait pas forcément à la même espèce).
- Le site d’Ocho Hermanos a aussi livré des restes postcrâniens qui constituent l’holotype de l’abélisauride Xenotarsosaurus (Martínez et al., 1986), et Carrano et al. (2008) pensent qu’il est tout à fait possible que le maxillaire isolé appartienne aussi à Xenotarsosaurus. Ces mêmes auteurs n’excluent pas non plus qu’un squelette partiel d’abélisauridé (MPM-99, composé de la 10ème vertèbre cervicale, la première vertèbre dorsale, un centrum de vertèbre dorsale et trois vertèbres caudales médianes) trouvé sur un autre site de la Formation Bajo Barreal (mais localisé dans la province de Santa Cruz, Martínez et al., 2004,) pourrait également appartenir au même taxon que celui d’Ocho Hermanos. Mais ce n’est probablement pas le cas car, en 2012, Lamanna et al. signalent la découverte d’un nouveau squelette partiel d’abélisauridé (UNPSJB-PV 1003) dans le Membre inférieur de la Formation Bajo Barreal dans la province de Chubut. Ce spécimen inclut la moitié postérieure du crâne, les deux dentaires, des dents isolées, un sacrum partiel, 23 vertèbres caudales, au moins deux côtes dorsales, 15 chevrons, la scapula gauche et la plus grande partie du tarse et du pied droit. Selon Lamanna et al., les vertèbres caudales de UNPSJB-PV 1003 diffèrent de celles de MPM-99 par plusieurs caractères, ce qui suggère la présence de deux abélisauridés différents dans cette formation géologique. UNPSJB-PV 1003 n’a malheureusement pas conservé d’éléments en commun avec Xenotarsosaurus et le maxillaire isolé UNPSJB-PV 247 d’Ocho Hermanos, empêchant ainsi toutes comparaisons avec ces spécimens. Le nouveau squelette argentin montre toutefois des caractères primitifs que l’on observe également chez Rugops primus tel qu’une ornementation crânienne minimale, des frontaux non épaissis et la présence d’une fenêtre entre le lacrymal, le frontal et le postorbitaire. Mais il présente aussi des caractères originaux, de sorte que pour Lamanna et al., UNPSJB-PV 1003 représente probablement un nouveau taxon. Mais il va falloir attendre la description complète de ce spécimen pour savoir si il s’agit d’un nouveau genre ou d’une nouvelle espèce de Rugops.
- Si les trois spécimens d’abélisauridés de la Formation Bajo Barreal de la province de Chubut (Xenotarsosaurus, le maxillaire d’Ocho Hermanos et UNPSJB-PV 1003) représentent un seul et même théropode, et que cet abélisauride argentin soit congénérique avec Rugops, ce dernier deviendrait alors un synonyme junior de Xenotarsosaurus. Mais la réalité est que les restes de Xenotarsosaurus ne sont plus diagnostiques au niveau générique (Carrano et al., 2008, Novas, 2009), de sorte que ce serait probablement le nom de Rugops qui serait conservé.
Paléobiogéographie
- La découverte de Rugops en Afrique fut importante car elle a permis d’invalider la principale théorie proposée à la fin des années 1990, concernant la paléobiogéographie des Abelisauroidea. En effet, plusieurs auteurs (Sampson et al., 1998 ; Krause et al., 1999 ; et Carrano et al., 2000) suggéraient que l’Afrique s’était complètement séparée du reste du Gondwana avant la radiation des Abelisauroidea, et que ces derniers n’auraient donc jamais peuplés l’Afrique. Pour ces auteurs, les Abelisauroidea se seraient propagés, grâce à des langues de terres, de l’Amérique du Sud jusqu’en Inde et à Madagascar, via l’Antarctique. Cette hypothèse fut avancée en raison de la distribution géographique connue des Abelisauridae durant le Campanien et le Maastrichtien, et de l’absence de fossiles de ce groupe en Afrique. La découverte de Rugops dans le Cénomanien du Niger (et du maxillaire UCPC 10 dans des terrains de même âge au Maroc), puis les découvertes d’autres abelisauroïdes africains plus anciens au Niger et en Libye (Sereno et Brusatte, 2008 ; Smith et al., 2010) et celles d’abelisauridés plus récents au Kenya (Sertich et al., 2006 ; Sertich, 2013) démontrent que cette hypothèse est aujourd’hui erronée. La forte ressemblance entre les maxillaires d’UCPC 10 du Maroc, d’UNPSJB-PV247 d’Argentine et celui de Rugops primus suggère l’existence d’un ancêtre commun très récent pour ces trois taxa, suggérant ainsi que des échanges fauniques entre l’Afrique et l’Amérique du Sud auraient persistés jusqu’à une période aussi tardive que l’intervalle Aptien-Cénomanien (Mahler, 2005).
Reconstitution de la vie de ce dinosaure
- Rugops n’étant connu que par son crâne, on ne peut pas dire grand-chose à son sujet. La robustesse et la hauteur des os maxillaires ainsi que les dents relativement réduites ont fait penser à Sereno qu'il a pu être nécrophage. Mais cela ne constitue pas une preuve. Pour le reste, était-il bâti pour la course comme Carnotaurus et Aucasaurus, ou était-il un animal plus lent et plus robuste comme les Majungasaurinae et Ekrixinatosaurus ? Sans la découverte d’un squelette de l’animal, il est impossible de répondre à cette question.
- Outre Rugops primus, la Formation Echkar a également livré les théropodes Carcharodontosaurus iguidensis et Spinosaurus sp., des restes indéterminés de titanosaures et de Rebbachisauridae, ainsi que plusieurs crocodilyformes dont le crocodile sanglier Kaprosuchus saharicus et le crocodile crêpe Laganosuchus thaumastos.
Publications
- Martínez, R. D., Giménez, O., Rodríguez, J. & Bochatey, G. 1986. Xenotarsosaurus bonapartei nov. gen. et sp. (Carnosauria, Abelisauridae), un nuevo Theropoda de la Formación Bajo Barreal, Chubut, Argentina. Actas IV Congreso Argentino de Paleontología y Bioestratigrafía 2: 23–31.
- Sereno P.C., Dutheil D.B., Larochene M., Larsson H.C.E., Lyon G.H., Magwene P.M., Sidor C.A., Varricchio D.J., Wilson J.A., (1996). Predatory Dinosaurs from the Sahara and Late Cretaceous Faunal Differentiation. Science, vol. 272, p. 986-991.
- Sampson, S. D., L. M. Witmer, C. A. Forster, D. W. Krause, P. M. O’Connor, P. Dodson, and F. Ravoavy. 1998. Predatory dinosaur remains from Madagascar: implications for the Cretaceous biogeography of Gondwana. Science 280:1048–1051.
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- Sertich, J.J.W. (2013) The dinosaurs of island Africa: a new latest Cretaceous fauna from Kenya and the evolution of gigantism in abelisaurid theropods. in The End of the Dinosaurs: Changes in the Late Cretaceous Biosphere, 15th Annual PaleoFest, Burpee Museum, 2-3.III.2013