INTERVIEW d'Emmanuel Gheerbrant, parue dans la revue LA RECHERCHE (mars 2005); propos recueillis par Cécile Klingler

 

Où se situent les fossiles du genre Repenomamus dans l'arbre des mammifères ?

EMMANUEL GHEERBRANT: Ce sont des mammifères archaïques du genre Repenomamus, qui fait partie du groupe des Triconodontes. Ce groupe s'est éteint il y a 70 millions d'années, un peu avant les dinosaures. Il n'a donc aucun lien avec les mammifères modernes que sont les marsupiaux et les placentaires.

On connaissait déjà Repenomamus robustus, mais seulement par le crâne - ce qui est déjà exceptionnel par rapport aux autres espèces du Mésozoïque, le plus souvent illustrées par des dents isolées. Or, ces nouveaux fossiles, eux, sont complets !

Du coup, on sait que Repenomamus robustus mesurait environ 50 centimètres de long. C'est déjà grand par rapport à la taille des mammifères mésozoïques que l'on connaissait jusqu'alors, qui sont globalement de la taille d'une souris ou d'un rat. Mais ce n'est rien par rapport à une nouvelle espèce de Repenomamus découverte dans ce gisement : Repenomamus giganticus atteint 1 mètre de long, pour un poids estimé à 14 kilogrammes ! L'un comme l'autre semblent être des animaux massifs et plutôt courts sur pattes.

 

Quelle niche écologique occupaient-ils ?

L'examen de leur mâchoire et de leurs dents est instructif à cet égard. L'appareil dentaire est de type carnassier, avec de grandes incisives acérées, des prémolaires pointues, des molaires relativement petites et arrondies. En outre, la mandibule est très robuste, ce qui implique des muscles masticateurs très développés. L'ensemble de ces caractéristiques laisse penser qu'il s'agissait d'animaux à tendance carnassière, qui plus est davantage prédateurs, attrapeurs de proies, que charognards. Mais cela n'exclut pas qu'ils aient pu également se nourrir d'invertébrés, voire de plantes.

 

Pouvaient-ils se nourrir de dinosaures ?

Oui, semble-t-il. Des restes d'un jeune dinosaure herbivore, du genre Psittacosaurus, ont été retrouvés à l'emplacement de l'estomac de Repenomamus robustus. Ce sont des portions de squelette encore articulées, pas des restes isolés. Donc, je pense qu'il s'agit du contenu stomacal. Cela va dans le sens d'animaux qui avalent leurs proies par bloc, sans les mastiquer, comme en témoignent notamment leurs molaires réduites.

 

De nouvelles hypothèses émergent-elles ?

Ces données renouvellent notre vision des mammifères du Mésozoïque. On pensait que c'était de petits animaux nocturnes et insectivores, occupant de ce fait une niche écologique relativement étroite. Et voilà ces nouveaux venus qui entrent dans la gamme des carnivores prédateurs, et dont la taille et les adaptations alimentaires se rapprochent de celles des petits dinosaures carnassiers, tels que les dromæosaures de ce gisement.

Le cadre de réflexion change dans la mesure où les niches écologiques de ces animaux se chevauchent. Par conséquent, il y a pu avoir entre eux des interactions, en particulier sur le plan alimentaire, qu'on n'avait pas envisagées jusqu'à présent. Ces Repenomamus étaient probablement des prédateurs des petits dinosaures dans leur ensemble, mais également des compétiteurs des petits dinosaures carnassiers. Sur le plan de l'écologie de tous ces animaux, c'est vraiment une nouveauté.